Page 146 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
P. 146
146
vaincu des Ægates, avec mission d'attendrir le cœur des mercenaires. Dès son
arrivée au camp, Hannon, s'adressant aux troupes assemblées, parla longuement
de la misère publique et des charges du trésor, des finances ruinées par les
exigences de Rome, du temps qu'il fallait à l'Etat pour se remettre de tant de
secousses : toutes choses qui n'intéressaient que médiocrement des créanciers
pleins d'impatience Ce discours eût produit quelque effet, sans doute, sur des
soldats citoyens, pouvant participer plus tard aux bénéfices de la prospérité
publique ; mais, dans le cas présent, ces frais d'éloquence étaient faits en pure
perte. Bien plus, quand, sous forme de péroraison, le général essaya de faire
admettre la proposition d'une réduction de solde, des cris d'indignation éclatèrent
de toutes parts.
Les hommes de chaque langue s'assemblent en tumulte, et déclarent qu'ils sont
désormais déliés de toute obligation envers un Etat qui pratique si
audacieusement l'escroquerie. La sédition est imminente. Ils reprochent
amèrement à Carthage d'avoir confié une telle mission au riche Hannon, inepte
général, qui ne sait rien de leurs exploits de Sicile. Les esprits s'échauffent, et, la
mémoire aidant, l'ébullition est bientôt complète. On raconte tout haut l'histoire
de Xanthippe, que l'ingrate γερουσία a fait périr en mer ; de ces 4.000 Gaulois
qu'elle n'a payés qu'en les livrant traîtreusement aux Romains. On trace à larges
traits un tableau sombre de l'ile des ossements, de ce rocher où les pentarques
des finances ont débarqué et laissé mourir de faim de pauvres soldats qui osaient
réclamer leur solde1. Sans doute, un sort pareil attend l'armée de Sicca. L'armée
est menacée de quelque guet-apens ! On a, contre l'usage, permis aux soldats
d'emmener leurs femmes et leurs enfants ; on veut évidemment les faire
disparaître tous ensemble, eux et leurs familles. Mais certainement Carthage
n'aura pas ainsi raison des vétérans d'Eryx ! La fureur arrive à son comble, et
aussitôt 20.000 mercenaires, exaspérés, se portent à marches forcées vers
Carthage. Ils s'arrêtent sous Tunis, où ils campent en bon ordre, menaçant
fièrement la ville qui méconnaît leurs droits.
Le gouvernement mesure alors toute l'étendue de ses fautes ; mais aux fautes
qu'il déplore il ajoute immédiatement une nouvelle faute, en se jetant à corps
perdu dans la voie de la faiblesse et des concessions tardives2. Terrifié par la
présence des mercenaires, il leur accorde tout ce qu'ils demandent, signe le
rappel d'Hannon, et s'estime heureux de leur voir accepter pour liquidateur un de
dénomination tamazir't. Nous pouvons aujourd'hui faire la version contraire,
c'est-à-dire repasser du grec à l'amazir'. Or, dans ce dernier idiome, le mot porte
s'exprime par thabbouth et cent par touinest. Qu'on rapproche simplement ces
deux termes, en négligeant, dans la prononciation, la désinence du composé, et
l'on obtient Thubbouth-Tou', assonance assez frappante déjà de Tombouctou.
Mais, plus correctement, l'expression Cent Portes a pour équivalente : Touinest
en Thiboura, ou mieux, par inversion, Thiboura en Touinest. La prononciation
en usage chez les Touareg donne Thib' n' tou, terme fort rapproché, l'on en