Page 142 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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exactement leur solde, et surtout de la leur payer en beaux deniers comptants.
Or le trésor de l'armée était vide.
Pour sortir d'embarras, Giscon avait pris le parti de diriger toutes ces troupes sur
l'Afrique, mais en ne les embarquant que l'une après l'autre et par petits
détachements de chaque langue. En opérant ainsi, il laissait à la pentarchie des
finances la latitude de se libérer successivement, et par parties, envers ces
créanciers de l'Etat. Les premiers arrivants eussent d'abord touché l'arriéré de
leur solde, et, le payement effectué, on les eût expédiés, chacun pour son pays,
afin de faire place à d'autres parties prenantes.
Cette idée de Giscon, fort sage en soi, n'était malheureusement point de nature à
venir efficacement en aide à la γερουσία, qui se trouvait alors dans la détresse la
plus profonde. On n'a point ménagé non plus, en cette circonstance, les hommes
du gouvernement carthaginois ; on a dit que, en négociants âpres au lucre, ils
avaient imprudemment marchandé aux soldats le prix de leurs travaux et de leur
sang.
Les finances de la République étaient, de fait, dans une situation déplorable, et
le service de la trésorerie ne pouvait plus fonctionner. Ainsi qu'on le verra au
livre
de cette histoire, il y avait dans l'Etat insuffisance de numéraire, et les valeurs
fiduciaires en circulation, telles que les monnaies dites de cuir, ne pouvaient
parer aux dangers d'une disette de métalliques. Tous les fonds disponibles
avaient été confiés à Hannon, et, tout ayant été perdu à la journée des Ægates, le
trésor de Carthage, qui venait de payer près de 6 millions aux Romains, qui leur
devait, en outre, dix annuités de plus de 1.200.000 francs1 ; le trésor, réduit aux
expédients, était dans l'impossibilité absolue de faire face à de nouvelles
dépenses2.
Le gouvernement chercha donc à gagner du temps, et ne songea qu'à faire
patienter les mercenaires jusqu'à l'époque de la rentrée des premiers impôts. Ne
pouvant suivre les conseils de Giscon, ni conformer sa conduite à la sienne, il
laissa les différents détachements de l'armée de Sicile s'accumuler tout
doucement à Carthage.
Cependant les soldats arrivés les premiers dans la ville la troublaient, nuit et
jour, par de violents désordres. Ces hommes de fer, habitués à la vie des camps
et rompus aux privations qu'impose le métier des armes, se voyaient transplantés
tout à coup dans la capitale d'un grand empire, toute resplendissante du luxe et
des arts étranges de l'Orient. Il s'allumait en eux de terribles désirs, et, pour ces
rudes natures, de la convoitise à la jouissance per fas et nefas, il n'y avait qu'un
pas bien facile à franchir.
Les censeurs des mœurs, pour rétablir la paix dans les rues de la ville ; les
pentarques des finances, afin de gagner du temps, entrèrent en pourparlers avec
les officiers. On ne pouvait, leur dirent-ils, arrêter les états de solde de leurs
hommes qu'après que toute l'armée de Sicile aurait rejoint ; et, en attendant, la
tranquillité publique exigeait que ces braves mais turbulents soldats s'en