Page 144 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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               d'emmener  avec  eux  leurs  femmes,  leurs  enfants,  leurs  bagages.  Ils  partirent.
               Chaque fois qu'un détachement arrivait de Sicile, on lui donnait le même ordre
               de route, et bientôt toute l'armée fut massée à Sicca.

               Sicca  Veneria  (el-Kef),  située  à  sept  étapes  de  Carthage,  était  un  très-ancien
               établissement punique, une ville consacrée à la déesse Astarté, où, chaque jour,
               des  courtisanes-prêtresses  célébraient  solennellement  tous  les  mystères
               ithyphalliques. Séduits par les cérémonies d'un culte si merveilleusement facile,
               les  mercenaires  s'abandonnèrent  à  la  licence,  et  le  peu  d'argent  qu'ils  avaient
               reçu  fut  très-vite  dépensé.  Alors  ils  songèrent  à  celui  que  la  République  leur
               devait encore.

               Les  natures  grossières,  ou  celles  qu'agitent  des  passions  vives,  donnent
               facilement à leurs créances à terme une valeur actuelle considérable : elles se
               soumettent  volontiers  aux  formes  d'escompte  les  plus  léonines,  mais  à  la
               condition de toucher immédiatement le solde de leur crédit. Si la pentarchie des
               finances  avait  eu  quelques  fonds  disponibles,  elle  aurait  pu  alors  réaliser  de
               magnifiques bénéfices. Mais la détresse du trésor ne pouvait lui inspirer qu'une
               suite  de  mesures  dilatoires,  et  ce  système  constituait  un  danger  sérieux.  Ces
               mêmes  hommes,  en  effet,  qui  consentent  si  complaisamment  un  énorme
               escompte, sont essentiellement irritables à l'idée du délai qu'on leur impose, et
               leur  imagination  extravagante  donne  aussitôt  au  chiffre  qu'ils  attendent  des
               proportions exagérées. Les mercenaires, durant leurs longues heures de loisir, se
               mirent à supputer, en le grossissant, le total qu'avait à leur payer la République.
               Ils se rappelaient les promesses magnifiques qu'on leur avait faites en Sicile, aux

               jours  où  l'on  avait  besoin  d'eux.  Ils  se  grisaient  d'espérances  folles,  et  leurs
               prétentions n'avaient plus de bornes. Voilà ce qui doit toujours arriver en pareille
               circonstance. Au moyen âge, les mercenaires d'Italie qu'on ne payait pas tout de
               suite réclamaient aussitôt double solde, paga duppia1.

               Le gouvernement avait gagné du temps, mais pas encore assez pour reconstituer
               ses finances et assurer le service du trésor. Les troupes étant toutes rassemblées,
               il n'y avait plus de prétexte qui put faire différer le règlement des comptes. Il
               fallait  s'exécuter,  et,  en  présence  d'une  pénurie  presque  complète,  la  situation
               était terrible. La pentarchie des finances, à bout de ressources, et ne sachant que
               faire  de  l'armée  qu'elle  avait  sur  les  bras,  conçut  la  malheureuse  idée  de  lui
               exposer toute la vérité, de faire appel à ses sentiments généreux ! Rien n'était
               plus maladroit, et ce fait, pris entre mille, met franchement en lumière l'impéritie
               politique  des  hommes  du  gouvernement  de  Carthage.  Un  mercenaire, nous  le
               verrons (t. III. c. V), peut faire un excellent soldat, si la puissance qui l'enrôle
               demeure fidèle aux engagements contractés. Hors de là, que peut-on attendre de
               lui ? Rien de bon. Il s'est engagé librement et à prix débattu ; s'il ne reçoit point
               son argent au jour dit, il reste inaccessible aux meilleurs raisonnements ; les plus
               beaux mouvements oratoires ne sauraient le toucher.

               L'insuccès des tentatives du sanhédrin n'était donc pas difficile à prévoir. Il avait
               envoyé à Sicca le général Hannon, le vainqueur d'Hécatompyle2, mais aussi le
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