Page 140 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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                                   CHAPITRE IX. — GUERRE DE LIBYE.



               Après  l'échange  des  ratifications  du  traité  des  Ægates,  Amilcar  conduisit  à
               Lilybée ses troupes du camp d'Eryx, en résigna le commandement, et chargea
               Giscon, gouverneur  de  la  place,  du  soin  de  les  rapatrier1.  Lui-même  revint  à
               Carthage, et, se dérobant, pour un temps, aux agitations de la vie publique, alla
               prendre  à  son  foyer  le  repos  dont  il  avait  besoin.  Les  nombreuses  fautes  du
               gouvernement  lui  causaient  d'amers  déplaisirs  ;  mais,  loin  de  désespérer  de
               l'avenir de son pays, il désirait attendre en silence l'occasion de le servir encore,
               de  le  régénérer,  s'il  était  possible,  afin  d'écraser  la  puissance  qui  venait  de
               l'humilier.  Souvent  il  est  avantageux  aux  hommes  politiques  de  disparaître
               momentanément de la scène ; ils évitent ainsi de se compromettre dans des luttes
               journalières  sans  portée,  et  leur  réputation,  au  lieu  de  s'affaiblir,  grandit  par
               l'absence. Rien de plus exact que ces réflexions, empruntées à l'Histoire de Jules
               César2.  On  savait  à  Carthage  qu'Amilcar  vivait  dans  la  retraite,  et  le  nom
               d'Amilcar servait de mot de ralliement à tous ceux que mécontentait la politique
               de la γερουσία. Les uns ne cessaient de vanter les talents, les vertus et la gloire
               militaire du grand Bou-Baraka ; les autres en venaient à prétendre que l'éminent
               capitaine  était,  alors,  seul  capable  de  remettre  en  bonne  voie  le  train  si
               compromis  des  affaires  publiques.  Il  vint  un  jour,  enfin,  où  le  peuple  et  les
               sénateurs allèrent frapper en foule à la porte d'Amilcar, en le conjurant de sauver
               la patrie (238).

               Le  fait  de  cet  appel  unanime  au  patriotisme  d'un  grand  citoyen  était  le  grave
               écho des terreurs nées de l'imminence d'un danger public. De tristes événements
               avaient, en effet, servi de cortège au désastre des îles Ægates, et, depuis deux
               ans (240-238), Carthage était en proie aux horreurs de la guerre, d'une guerre
               que lui avaient déclarée ses propres soldats, et que compliquait une révolte de
               Libyens, faisant cause commune avec les insurgés.

               Cette lutte, qui dura près de trois années (340-237)3, est connue dans l'histoire
               sous le nom de guerre de Libye ou des Mercenaires. Les Grecs l'appelèrent aussi
               inexpiable, en souvenir des cruautés inouïes dont se souillèrent, tour à tour, les
               partis en présence. Grande leçon, dit Polybe4, pour les nations qui prennent à
               leur solde des armées stipendiées ! Elles sauront, par l'exemple des Carthaginois,
               tout  ce  qu'elles  ont  à  redouter  et  à  prévoir.  Elles  apprécieront,  en  outre,  la
               distance qui sépare les mœurs d'une multitude composée d'éléments barbares et
               hétérogènes, de celles d'un peuple libre, sachant obéir aux lois et respecter les
               institutions civiles.

               Que s'était-il donc passé depuis le retour d'Amilcar à Carthage ? Giscon, nous
               l'avons dit, avait, après le traité des Ægates, reçu l'ordre de rapatrier les divers
               corps de l'armée de Sicile, Libyens, Gaulois, Ligures, Baléares et Demi-Grecs5 ;
               mais, avant de congédier ces mercenaires, il était indispensable de décompter
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