Page 136 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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frein, et leurs mobiles éperons (rostra) se lançaient avec tant d'art, tantôt contre
un vaisseau, tantôt contre un autre, qu'ils ressemblaient à des êtres vivants. Aussi
la flotte ennemie, brisée en un moment, couvrit-elle de ses débris toute la mer
qui sépare la Sicile de la Sardaigne1. Les Carthaginois, enfoncés, furent mis en
pleine déroute ; 50 de leurs vaisseaux furent coulés, 70 capturés avec leurs
équipages. Le reste parvint à rentrer sous Hiéronèse, pendant que l'heureux
Lutatius ramenait en triomphe à Lilybée ces 70 voiles carthaginoises et 10.000
prisonniers.
Sans laisser rien percer des agitations de son âme, Amilcar mesura d'un coup
d'œil toutes les conséquences de ce désastre. Il se vit coupé de Carthage, et
affamé dans Eryx. La partie était bien décidément perdue. Aussi ne songea-t-il
plus qu'au sort de ses compagnons d'armes. Il s'empressa de réclamer et obtint de
Carthage plein pouvoir de traiter avec les Romains. Tant qu'il lui fut possible, dit
Polybe2, de conserver quelque espoir raisonnable, Barca ne recula devant
aucune entreprise audacieuse, ni devant aucun danger. Il tenta, plus que ne le fit
jamais capitaine, toutes les chances de succès. Mais, quand vint la mauvaise
fortune, et qu'il eut épuisé tous les moyens que la raison conseille, il ne
s'inquiéta plus que du salut de ses soldats, et céda sagement à la nécessité. Il
dépêcha vers les Romains des commissaires chargés de traiter de la paix. C'est
ainsi qu'il est d'un grand général de savoir entendre quand sonne l'heure de
vaincre, et quand celle de se soumettre au vainqueur.
Lutatius ne ferma point l'oreille aux ouvertures qui lui furent faites. Il exigeait
d'abord que les Carthaginois se rendissent à merci ; mais le brave Amilcar fit
nettement répondre que les Carthaginois périraient avec lui jusqu'au dernier,
plutôt que de souscrire à de telles conditions. L'exemple de Regulus rendit le
consul circonspect ; il n'insista point, et le projet suivant fut rédigé d'un commun
accord : Il y aura amitié entre les Carthaginois et les Romains, si tel est le vœu
du peuple romain, et ce aux conditions suivantes : Les Carthaginois évacueront
toute la Sicile. Ils ne feront la guerre ni à Hiéron, ni aux Syracusains, ni aux
alliés de ceux-ci. Ils rendront sans rançon tous les prisonniers romains. Ils
payeront aux Romains, dans l'espace de vingt ans, deux mille deux cents talents
euboïques3 (près de treize millions de francs)4.
Ce projet de traité, expédié à Rome, ne fut pas, tout d'abord, ratifié par le peuple.
On envoya sur les lieux dix commissaires chargés de soumettre la question à un
nouvel examen. Ceux-ci ne changèrent rien à l'ensemble de l'acte, mais y
introduisirent quelques clauses rigoureuses. Ils diminuèrent de moitié le temps
accordé aux Carthaginois pour se libérer, et augmentèrent la contribution de
1.000 talents, qui durent être payés sans retard. Ils exigèrent enfin que la
République vaincue abandonnât toutes les îles situées entre la Sicile et l'Italie.
Voici la rédaction définitive de ce cinquième traité consenti entre Rome et
Carthage (241)5 :