Page 134 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
P. 134

134






               Drépane, et, enhardi par ce succès, forma résolument le siège de cette dernière
               place.

               Pendant  ce  temps,  que  faisaient  les  Carthaginois,  et  comment  laissaient-ils  le
               pavillon  ennemi  pratiquer  ainsi  les  eaux  siciliennes  ?  La  γερουσία,  toujours
               imprévoyante et économe à contretemps, n'avait point pensé que Rome pût de
               nouveau créer une flotte. Convaincus, dit Polybe1, que jamais les Romains ne
               songeraient  à  réorganiser  leur  marine,  les  Carthaginois,  dans  leur  méprisante
               sécurité,  avaient  singulièrement  négligé  la  leur.  Tous  leurs  navires  avaient,
               depuis longtemps, été dirigés sur les ports d'Afrique, et la plupart étaient alors
               désarmés.  Quand  on  apprit  à  Carthage  l'ouverture  du  siège  de  Drépane,
               l'agitation y fut extrême. Surprise par l'événement, la pentarchie de la marine2
               fit accoster aux appontements du Cothon tous les navires en état de prendre la
               mer, et l'on procéda précipitamment aux armements. On réunit ainsi 400 navires,
               qu'on bourra de vivres, de munitions, de rechanges à destination d'Eryx, et le
               tout fut arrimé dans le plus grand désordre. En fait de troupes, on n'embarqua
               qu'un effectif insignifiant. Le général Hannon reçut, avec le commandement de
               cette singulière flotte, composée de vaisseaux de guerre armés en flûte, l'ordre
               de toucher au camp d'Amilcar, de le ravitailler, et, cela fait, de prendre à bord
               l'élite de l'armée de Sicile, pour aller, avec ces braves gens, à la rencontre de
               l'escadre de Lutatius.

               Il  était  souverainement  imprudent  de  faire  ainsi  servir  à  deux  fins  de  grands
               navires de guerre, surtout à une époque où les marins, nécessairement astreints à
               suivre  les  côtes,  ne  pouvaient  que  très-difficilement  dérober  leur  marche  à
               l'ennemi.  Hannon  ne  devait  pas  échapper  au  danger  de  donner,  en  temps
               inopportun, dans le flanc de la croisière romaine. Le consul Lutatius sut que les
               Carthaginois venaient de mouiller dans les eaux d'Hiéronèse, l'une des Ægates3,
               et, abandonnant sur-le-champ le siège de Drépane, courut prendre position sous
               Æguse, autre île du groupe des Ægates, laquelle forme avec Drépane et Lilybée
               un triangle équilatéral. Dès le lendemain, au point du jour, il vit les Carthaginois
               appareiller.  La  mer  était  houleuse  ;  de  jolies  brises,  soufflant  du  nord-ouest,
               permettaient à Hannon de filer grand largue, en rangeant la côte, et le cap droit
               sur Eryx. Les Romains avaient leur rôle tout tracé : il leur fallait, à tout prix,
               empêcher la jonction d'Hannon et d'Amilcar. Sur-le-champ, le consul appareilla
               aussi,  et  commanda  le  branle-bas  ;  la  flotte  romaine  arriva  en  ligne  à  bonne
               hauteur  et,  présentant  l'éperon  à  la  colonne  ennemie,  lui  barra  résolument  le
               passage. Les transports carthaginois durent, bon gré mal gré, accepter la bataille
               ; ils carguèrent leurs voiles, et s'apprêtèrent à résister au choc.

               Jamais, dit Florus, il ne se livra de bataille navale plus furieuse. Les vaisseaux
               ennemis étaient surchargés de munitions de bouche, de tours navales, d'armes et
               d'engins de toute espèce. Carthage entière semblait s'y être embarquée, et c'est ce
               qui causa sa perte. La flotte romaine, au contraire, leste, agile et légère, offrait,
               en  quelque  sorte,  l'image  d'une  armée  de  terre.  Ce  fut  comme  un  combat  de
               cavalerie ; nos vaisseaux obéissaient à la rame, ainsi que des chevaux au
   129   130   131   132   133   134   135   136   137   138   139