Page 130 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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Tous les stratagèmes que l'expérience peut enseigner, dit Polybe1, toutes les
inventions que peuvent suggérer l'occasion et la nécessité pressante, toutes les
manœuvres qui réclament le concours de l'audace et de la témérité, furent
employés de part et d'autre, sans amener de résultat important. Les forces des
deux armées étaient égales ; les deux camps, bien fortifiés et inaccessibles ;
l'intervalle qui les séparait, fort petit. Toutes ces causes réunies donnaient lieu
chaque jour à des combats partiels, mais empêchaient que l'action ne devint
jamais décisive. Toutes les fois qu'on en venait aux mains, ceux qui avaient
l'infériorité trouvaient dans la proximité de leurs retranchements un asile assuré
contre la poursuite des ennemis, et le moyen de revenir avec avantage à la
charge.
Les faits les plus saillants de cette période triennale sont : la défense de Drépane
(246), le ravitaillement de Lilybée (245) et la prise d'Eryx (244), par Amilcar.
Le consul Fabius avait formé le siège de Drépane. Au sud de cette place, et tout
près du rivage, se trouvait un îlot rocheux, dit des Palombes, qui couvrait
parfaitement les fortifications de terre ferme. Une nuit, les Romains le
surprirent, et s'y établirent solidement. Au jour, Amilcar accourt, et fait de vains
efforts pour reprendre le fortin des Palombes ; Fabius l'y laisse s'épuiser,
descend à terre, et donne l'assaut à la place. Amilcar se jette dans Drépane, qu'il
défend avec une rare vigueur ; mais il ne peut empêcher les Romains de se loger
dans les Palombes, ni de relier cet îlot au continent, par une jetée qui complète
l'investissement de la place.
Le brave Amilcar devait bientôt prendre sur les Romains une revanche éclatante,
en opérant, sous leurs yeux mêmes, le ravitaillement de la place de Lilybée,
laquelle, étroitement bloquée, était alors en proie aux horreurs de la famine. Il
part avec toutes ses forces navales, et, pendant que l'escadre de guerre fait mine
de chercher à pénétrer de vive force dans le port, il dissimule habilement 30
transports de gros tonnage dans une anse voisine, que surplombent de hauts
rochers. Les Romains se précipitent avec fureur sur les navires de guerre
carthaginois ; mais ceux-ci, manœuvrant adroitement, entraînent leurs
adversaires au large, et, pendant qu'ils les occupent en d'inutiles évolutions, les
transports sortent de leur abri, défilent tranquillement le long de la côte, et
mouillent triomphalement au port. Amilcar décharge aussitôt des vivres, des
munitions, des secours de toute espèce, et relève singulièrement le moral des
défenseurs (245).
Le résultat de cette heureuse journée consterna les assiégeants. Esclaves des
vieilles méthodes, dont l'emploi les faisait toujours tourner dans le même cercle,
ils n'avaient pu soupçonner le moyen de la fausse attaque, et ce procédé, bien
classique aujourd'hui, prit à leurs yeux les proportions d'une violation du droit
des gens, d'un acte de cette foi punique, si souvent frappée de leurs malédictions.
En réalité, ici comme en bien d'autres circonstances, Amilcar eut la gloire de
réformer des ressorts usés par la mise en œuvre antique, d'y substituer ceux d'un