Page 100 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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Le Grec Timoléon, l'un des plus habiles généraux du temps, ayant pris pied en
Sicile, à l'insu des Carthaginois, commença par écraser l'armée léontine, et
s'empara d'une partie de Syracuse.
La situation de cette ville était alors singulière. Icetas, tyran de Leontium, tenait
la ville proprement dite ; Denys était maître de la citadelle, et les Carthaginois
gardaient le port, qu'Icetas leur avait livré. La désertion des mercenaires grecs de
Magon fit bientôt tomber toute la ville aux mains de Timoléon, et le général
carthaginois dut se rembarquer précipitamment.
Mais la République n'abandonnait pas ainsi des projets conçus de longue date et
mûrement élaborés. Les sénateurs s'assemblent en conseil de guerre,
condamnent au supplice de la croix le timide Magon, et dirigent sur Lilybée un
nouveau corps de 70.000 hommes.
Cette armée, sous les ordres d'Amilcar et d'Annibal, est malheureusement battue
par Timoléon, qui défend la ligne de la Crimise (340), et Carthage n'a plus qu'à
demander la paix. Timoléon, qui signe le traité (338), emporte à Corinthe la
gloire d'avoir vaincu la fille de Tyr.
En ce moment la situation de la République était peu brillante. Un nouvel orage,
qui se formait en Orient, menaçait de fondre sur elle, et déjà le gouvernement
tremblait des premiers accès de cette fièvre qui l'avait saisi lors des grands
bouleversements politiques dus aux invasions de Salmanasar, de
Nabuchodonosor, des Scythes, de Cyrus, de Cambyse, de Darius. Cette fois, ce
n'était plus un conquérant asiatique qui agitait ainsi le monde, c'était un Grec.
C'était Alexandre, qui, après avoir ruiné Tyr, se proposait d'écraser Carthage.
Cet homme extraordinaire, qui venait de remuer si profondément le monde de la
vieille Asie, voulait aussi changer les destinées de l'Occident1. Syracuse
pouvait-elle rêver un allié plus puissant que ce fondateur de grands empires ?
Non sans doute, et les angoisses de Carthage étaient très-légitimes. Par bonheur,
la foudre, prête à tomber, s'éteignit subitement à Babylone ; et la République
oublia ses terreurs.
Cependant ses inquiétudes renaissaient aux étranges événements qui venaient
d'avoir pour scène la ville même de Syracuse. Un échappé de lupanar,
Agathocle, était arrivé au pouvoir, grâce à la faveur du soff'ète Amilcar (319).
Mais le gouvernement carthaginois avait énergiquement désavoué le soff'ète et
refusé de reconnaître la souveraineté de sa créature. Les relations diplomatiques
furent bientôt interrompues entre Carthage et Syracuse, et les hostilités suivirent.
Battu près d'Himère par Amilcar, fils de Giscon, assiégé dans sa capitale et
réduit aux plus dures extrémités, le célèbre Agathocle conçut le projet inouï
d'opérer une descente en Afrique (310) : trait de génie politique et militaire, qui
glaça ses ennemis d'épouvante et lui valut les louanges de toute l'antiquité. Le
grand Annibal avait sans doute présent à l'esprit le souvenir de ce Grec, lorsque,
un siècle plus tard, il allait opérer en Italie la plus violente des diversions.
Le célèbre aventurier, bloqué dans Syracuse, coupe la ligne d'embossage et
s'échappe avec une flotte de 60 voiles. L'escadre carthaginoise lui donne