Page 104 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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Ainsi donc, alarmée des progrès de Pyrrhus menaçant ses possessions
siciliennes, Carthage révise ses anciens traités avec Rome, et les fait suivre d'un
article additionnel, comportant une alliance offensive et défensive ; clause
imprudente, qui donnait implicitement à Rome acte de son importance politique
dans le monde occidental.
Dès que l'armée molosse eut pris pied en Italie, Carthage, fidèle à ses
engagements, envoya au secours de Rome une flotte de 130 voiles, commandée
par Magon. Mais le sénat romain, craignant sans doute qu'elle ne profitât de
l'occasion pour prendre pied en Italie, la remercia de ses offres de service. La
République, dit-il fièrement, n'entreprend d'autres guerres que celles qu'elle peut
soutenir avec ses propres forces1 ; réponse arrogante, dont le ton dénote bien la
position que Rome entendait déjà prendre et garder à l'égard de Carthage.
On connaît l'histoire de Pyrrhus. Après avoir fait trembler l'Italie, il envahit la
Sicile et en fit rapidement la conquête. Les Carthaginois n'y eurent bientôt plus
que la seule place de Lilybée, et encore fut-elle assiégée. Heureusement pour
eux, le roi soldat, aussi inconstant que brave, quitta la Sicile, comme il avait
abandonné l'Italie. Mais sa politique frivole n'enlevait rien à sa clairvoyance : il
prédit que la civilisation carthaginoise viendrait, comme celle de la Grèce,
expirer aux pieds de la civilisation romaine. Oh ! disait-il, en quittant la Sicile, le
beau champ de bataille que nous laissons aux Carthaginois et aux Romains !2 En
effet, la lutte y était imminente.
Rome, dit Polybe3, voyait les Carthaginois régner en maîtres sur une grande
partie de l'Afrique, de l'Espagne ; disposer de toutes les îles répandues dans les
mers de Sardaigne et de Tyrrhénie. Elle craignait que. une fois la Sicile en leur
pouvoir, ils ne devinssent de redoutables voisins, qui tiendraient Rome cernée de
toutes parts, et menaceraient l'Italie entière.
Durant cette période d'un siècle et demi, remplie par les luttes de Carthage et de
Syracuse, l'Afrique ne demeura point spectatrice impassible des événements.
Loin de là : la République n'était pas toujours heureuse en Sicile, et à chaque
échec subi par elle correspondait une insurrection partielle ou totale des
populations thimazir'in.
Au moment où le typhus détruit l'armée victorieuse de Magon, la Bysacène
soulevée (395) se précipite en armes jusque sous les murs de Byrsa, et la ville ne
doit son salut qu'à la famine qui disperse les rebelles. Après le désastre de
Cabala (383), une cruelle épidémie désole le territoire de Carthage ; les Libyens
en profitent aussitôt pour tenter une levée de boucliers, et c'est à grand'peine que
le gouvernement les fait rentrer dans le devoir. Enfin, lorsque Agathocle opère
sa descente en Afrique (309), les sujets et les alliés de Carthage s'empressent à
l'envi de grossir les bandes des envahisseurs siciliens. Ces dispositions
constantes des populations du continent africain permettent de juger la politique
intérieure de cette République avide, qui ne sut jamais se faire aimer de ses
sujets. Des vexations de toute espèce entretenaient la haine des indigènes, et, en