Page 106 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
P. 106

106






               Les guerres de Sicile, dont nous venons de résumer l'histoire, offrirent d'ailleurs

                 la  République  l'avantage  d'apporter  une  utile  diversion  aux  fermentations
               intérieures. Comme sa turbulente métropole, Carthage était sans cesse déchirée
               par des partis violents ; une âpre démocratie y battait régulièrement en brèche
               une aristocratie jalouse de ses privilèges, et cet ardent antagonisme ne s'éteignait
               parfois  qu'au  souffle  d'un  commun  sentiment  de  haine.  Le  fantôme  de  la
               monarchie  absolue,  toujours  présent  au  cœur  des  Carthaginois,  savait  seul
               apaiser leurs fureurs. Etranges inconséquences du raisonnement  des hommes !
               Cette forme de gouvernement était peut-être la seule qui pût sauver la fille de
               Tyr.

               L'illustration  de  la  famille  de  Magon  le  Grand  avait  vivement  alarmé  la
               République, et de ses folles terreurs était née l'institution de la γερουσία, espèce
               d'inquisition d'Etat, qui, plus tard, eut pour similaire le fameux conseil des Dix
               de Venise. Malgré cela, une révolution monarchique était toujours imminente à
               Carthage, et chaque échec de l'armée y suscitait de grandes agitations. Lorsque
               Timoléon remportait sa victoire de la Crimise (340), le riche Hannon tentait de
               s'emparer  du  pouvoir  souverain.  Au  lendemain  de  la  descente  d'Agathocle  en
               Afrique  (308),  Bomilcar  essayait  encore  de  renverser  le  gouvernement
               oligarchique, et il y eût réussi sans doute, s'il avait voulu faire cause commune
               avec les Grecs de Syracuse ou de Cyrène. Mais une antipathie profonde séparait
               les Carthaginois de leurs voisins de race hellénique, et toute alliance entre eux
               était impossible. Le génie de la Grèce et celui de Carthage ne devaient même
               point s'allier au jour de la ruine, ce jour où l'incendie de Corinthe et le feu de la
               Byrsa, tous deux allumés par Rome, projetaient des reflets de sang sur les flots
               bleus de la Méditerranée.
   101   102   103   104   105   106   107   108   109   110   111