Page 107 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
P. 107
107
CHAPITRE VII. — PREMIÈRES SCÈNES DU DRAME PUNIQUE.
Les événements dont le récit va suivre se développent sous les proportions les
plus imposantes. Deux Républiques qu'unissent d'anciens traités de commerce,
deux grandes puissances, aigries par une rivalité sans cesse renaissante, en
viennent à penser tout haut que leur coexistence est désormais impossible, et,
sous l'empire de cette idée, commencent une lutte à outrance, dont l'issue doit
fixer à jamais les destinées du monde occidental. Carthage possède d'immenses
richesses, une marine admirable, une excellente cavalerie, un grand troupeau
d'éléphants de guerre. Rome, gouvernée par son sénat austère, n'a pour citoyens
que des hommes d'une rare énergie, guidés par un sens politique extraordinaire,
et paraît justement fière de son armée nationale, aguerrie par deux cents ans de
victoires. Les deux nations vont donc appliquer à la défense de leur cause des
forces bien différentes et de direction et d'intensité.
On a donné le nom de guerres puniques aux phases de cette lutte séculaire1. Ce
sont les trois reprises d'un duel à mort, les trois actes d'un grand drame2 ayant
pour dénouement l'anéantissement de Carthage. Les dernières opérations de la
première guerre sont dirigées par le glorieux père d'Annibal, et c'est Annibal lui-
même qui frappe tous les grands coups de la deuxième.
Lors de la descente de Pyrrhus en Italie, il s'était manifesté, entre les
gouvernements de Carthage et de Rome, des signes non équivoques de
refroidissement ; mais leurs relations n'avaient cependant pas été troublées. Les
deux rivales s'observaient en silence, attendant l'occasion de se prendre corps à
corps, mais n'osant, ni l'une ni l'autre, assumer l'odieux de l'agression. Un
événement imprévu amena brusquement la rupture, ainsi qu'il advient d'ordinaire
quand les dissentiments internationaux sont parvenus à maturité.
Sous le règne d'Agathocle, des aventuriers campaniens s'étaient traîtreusement
emparés de la place de Messine, et y commettaient depuis lors toute sorte
d'excès et de violences. Ils avaient pris le nom de Mamertins3. A leur exemple,
une légion romaine, également recrutée en Campanie, avait fait subir le même
sort à la ville de Rhegium (Reggio). Soutenus par ces honnêtes frères, les
Mamertins en étaient venus à inquiéter sérieusement les Carthaginois et les
Syracusains, qui se partageaient alors le territoire de la Sicile.
Une fois délivrée de Pyrrhus, Rome s'était empressée de châtier la perfide légion
qui tyrannisait Rhegium, et le sénat avait rendu la ville à ses légitimes
possesseurs. Isolés dès lors et sans appui sur le continent, ne se sentant plus
assez forts pour résister longtemps à Syracuse, les brigands de Messine se mirent
en quête d'un puissant patronage. Mais, comme il arrive presque toujours aux
multitudes livrées à elles-mêmes, la division se mit entre eux : les uns livrèrent
l'acropole aux Carthaginois, l'autre parti offrit bravement les clefs de la place
aux Romains.