Page 113 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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Jusqu'alors, le sénat s'était procuré chez les alliés (socii navales)1 des transports,
des pentecontores et quelques trirèmes ; il avait aussi fait construire quelques
petits navires de guerre, chargés de protéger le cabotage ; mais il manquait
absolument de ces vaisseaux à cinq rangs de rames, que les Carthaginois avaient
en si grand nombre, et qu'ils savaient si bien manœuvrer. On dit qu'une
quinquérème carthaginoise échouée sur les côtes du Latium servit de modèle aux
ingénieurs romains. L'Italie était alors riche en bois ; on put mettre sur chantier
une masse énorme de constructions navales. Le patriotisme des citoyens avait
d'ingénieux instincts ; on imagina d'exercer, à terre, une multitude d'esclaves2 au
maniement des rames. Au bout de deux mois d'efforts, la République lança 120
navires de premier rang, que montèrent aussitôt d'excellents équipages (260).
Cette flotte prit immédiatement la mer. L'esprit militaire des citoyens romains se
caractérisait par une invincible audace et par une confiance illimitée en leur
courage individuel. Le consul Duilius, qui commandait les escadres de
formation nouvelle, rencontra l'ennemi à la hauteur de Melazzo (Mylæ), et, tout
novice qu'il était en face de gens de mer pleins d'expérience, il n'hésita pas à leur
offrir la bataille.
On sait que les navires de guerre de l'antiquité étaient uniformément armés, à la
proue, d'un épais rostrum de bronze, et que la tactique navale consistait à
présenter sans cesse cet éperon à l'ennemi. Chaque bord s'attachait à garder ses
flancs, à éviter le choc du bélier à fleur d'eau, et, d'autre part, à pousser vivement
en avant, dès qu'un imprudent adversaire découvrait un pan de sa muraille. Le
succès dépendait donc, en général, de l'habileté des rameurs et de la manière
dont ils étaient commandés. Si l'on fait abstraction de la nature de l'agent
propulseur, on peut dire qu'une bataille navale de l'antiquité ne devait pas être
sans analogie avec un engagement de navires à vapeur qui, renonçant, d'un
commun accord, à l'emploi de leur artillerie, ne feraient usage que de l'éperon,
dont nous voyons aujourd'hui la renaissance.
Duilius, qui n'avait pas voulu compter uniquement sur la bonne exécution de son
service de propulsion, avait eu le soin de munir ses liburnes3 d'un engin qui fit
disparaître ou, tout au moins, atténuât les effets de leur infériorité par rapport
aux navires carthaginois. Comme leurs vaisseaux (ceux des Romains), dit
Polybe4, étaient pesants et mal construits, quelqu'un leur suggéra l'idée de se
servir de ce qui, depuis ce temps-là, fut appelé corbeau.
Le corbeau n'est donc pas de l'invention de Duilius, bien qu'il porte
ordinairement le nom de ce consul. Cette machine, connue de toute antiquité,
n'était autre chose qu'un pont-levis dressé contre un mât de l'avant, et qui
pouvait, à volonté, s'abattre, en tournant à charnière sur la base inférieure du
rectangle dont il affectait la forme. A la base supérieure était fixé un cône de fer
très-pesant, très-