Page 117 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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Les deux Républiques ont besoin de respirer une heure avant d'en venir à une
action décisive. Elles procèdent en silence à des armements formidables, et le
génie de la guerre les inspire d'un même souffle. Chacune comprend qu'elle
n'aura raison de son antagoniste que sur la scène mobile des eaux
méditerranéennes. C'est qu'en effet les efforts des corps de troupes qui battent en
tous sens le territoire sicilien ne peuvent produire qu'un va-et-vient de petits
revers et de succès insignifiants. Mais que, par un effort suprême, l'une des
parties belligérantes demeure maîtresse de la mer, l'autre, bannie de l'île, devra
s'humilier pour longtemps. Carthage va donc faire donner toutes ses forces
maritimes : elle arme 350 navires de premier rang. Rome redouble aussitôt
d'activité, et parvient à en mettre en ligne 33o. Bientôt le canal de Malte se
couvrira de 700 voiles, et l'on pourra compter à bord près de 300.000 hommes1 !
En 256, les deux flottes se rencontrent entre Héraclée Minoa et le cap d'Ecnome,
et s'abordent aussitôt avec fureur. L'abordage suivant la méthode du corbeau a
encore une fois raison de l'expérience des équipages carthaginois et de la
précision de leurs manœuvres. Amilcar et son lieutenant Hannon ont 94 navires
pris ou coulés ; ils battent précipitamment en retraite, laissant la plus brillante
victoire aux mains des consuls Manlius et Regulus. Ceux-ci vont en poursuivre
aussitôt toutes les conséquences. La mer se trouve libre désormais ; le chemin de
l'Afrique est ouvert, et la flotte romaine met le cap sur Carthage. Pas une voile
ennemie ne défend les abords de la côte : on touche au promontoire Hermœum,
on prend Clypea (Kelibia) pour base des opérations que va tenter Regulus.
Ce fier consul, dont le nom devait demeurer célèbre, était resté seul en Afrique
avec une petite armée de 15.000 hommes d'infanterie, 500 de cavalerie et 40
navires de guerre. L'année 2 56 touchant à sa fin, et deux consuls nouveaux
ayant été élus, le sénat le maintint dans son commandement en qualité de
proconsul. Dès que cette décision lui eut été notifiée, Regulus, cherchant à
s'étendre, alla former le siège d'Adis (R'adès), et, sous les murs de cette place,
défit complètement une armée de secours, principalement composée d'éléphants
et de cavalerie. Ce succès inouï ouvrit bientôt aux Romains les portes de Tunis :
ils occupèrent fortement cette place, y appuyèrent un grand camp retranché qui
menaçait Carthage, et Carthage, éperdue, se crut revenue au temps d'Agathocle.
Sa situation était réellement critique. Expulsée de la Sicile, de la Sardaigne et de
la Corse, deux fois battue sur mer, à Melazzo et à Ecnome, la capitale de
l'empire carthaginois, presque assiégée, sentait l'Afrique frémissante prête à
embrasser le parti des Romains. Dans cette extrémité, elle demanda la paix ;
mais Regulus ne consentit à traiter que sur des bases excessivement dures. Les
Carthaginois, dit-il, devront nous céder la Sardaigne et la Sicile entières, nous
rendre sans rançon tous nos prisonniers, racheter les leurs, payer tous les frais de
la guerre, se soumettre à l'obligation d'un tribut annuel. Carthage devait
s'engager, en outre,
n'avoir d'autres alliés et d'autres ennemis que ceux de Rome, à n'armer qu'un
seul vaisseau de guerre, à tenir constamment à la disposition des consuls un
contingent de cinquante trirèmes.