Page 119 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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Ces conditions humiliantes étaient inacceptables, et les Carthaginois, indignés,
s'apprêtèrent à reprendre la lutte avec toute l'énergie du désespoir. Par l'effet d'un
heureux concours de circonstances, des officiers de recrutement, qui revenaient
d'une mission en Grèce, mouillaient à cette heure même au Cothon. Ils avaient
racolé bon nombre de mercenaires, parmi lesquels se trouvait un Lacédémonien
nommé Xanthippe, militaire d'un rare mérite. Ce Grec, dit Saint-Evremond1,
homme de valeur et à expérience, s'informa de l'ordre qu'avaient tenu les
Carthaginois et de la conduite des Romains ; s'en étant instruit pleinement, il les
trouva les uns et les autres fort ignorants dans la guerre.
Xanthippe sut démontrer à la γερουσία2 que Carthage était loin d'être à bout de
ressources, et se fit donner le commandement des troupes, dont il réforma
promptement la discipline et l'instruction. Bientôt, mettant en ligne 12.000
hommes de bonne infanterie, 4.000 chevaux et 100 éléphants, il alla, dans la
plaine de Tunis, provoquer l'armée consulaire. Cette fois Regulus fut vaincu et
fait prisonnier3 ; les débris de ses légions, environ 2.000 hommes, se hâtèrent de
battre en retraite, et ne rentrèrent qu'à grand'peine à Clypea. Rome sentit bien
qu'il ne lui restait plus qu'à quitter la Libye. Mais la fortune alors ne lui souriait
plus : les navires qu'elle arma pour rapatrier ses nationaux, ayant eu
l'imprudence de s'attarder sur les côtes de Sicile, y furent assaillis par une
violente tempête, qui lui en enleva près de 300.
Cette suite de malheurs rétablissait, jusqu'à un certain point, l'équilibre entre les
antagonistes. Les Carthaginois, revenus de leurs terreurs, surent faire rentrer
dans le devoir les indigènes qui, lors de l'apparition de Regulus, avaient tenté de
se soulever. Opérant en même temps en Sicile, ils reprirent Agrigente, qu'ils
rasèrent, en menaçant de pareil sort toutes les places amies de Rome.
Jamais les Romains ne se laissaient abattre par les revers4. Aussi se ruèrent-ils
derechef sur la malheureuse île, et la campagne de l'an 254 s'ouvrit par la prise
de Cephalœdium. Après cet heureux début, suivi d'un infructueux coup de main
sur Drépane, ils assiégèrent et prirent Palerme, capitale de toutes les possessions
carthaginoises. La chute de cette place importante eut pour conséquence celle de
Iétine, Petrinum, Solunte et Tyndaris.
Pendant trois ans (253-250) les flottes des deux pays ravagèrent, les unes les
côtes d'Afrique, les autres le littoral italien ; dans l'intérieur de la Sicile, les
Romains avaient l'avantage ; sur le rivage de la mer, les Carthaginois. Deux fois
les flottes de la République [romaine] furent détruites par la tempête ou par
l'ennemi, et ces désastres engagèrent à deux reprises le sénat à suspendre toute
expédition maritime5.
C'était, pour l'une et l'autre puissance, un mouvement alternatif de succès et de
revers, dont aucun n'était de nature à clore définitivement une série continue
d'opérations ruineuses. Chacune d'elles cependant, déjà très-fatiguée, faisait des
efforts surhumains pour arriver à un résultat décisif ; et toujours la valeur de la
résistance était égale à celle de l'agression.