Page 38 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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surface tranquille, des montagnes aux formes variées et aux lignes exquises, les
collines semées d'orge verdoyante, la plaine où quelques palmiers dressent leur
couronne élégante par-dessus les oliviers au feuillage pâle : tout rappelle... les
richesses du sol africain unies à la poésie de la nature grecque ou sicilienne.
Carthage fût devenue la reine du monde, si elle n'eût appartenu à des marchands.
Il y a, dit aussi M. Duruy1, de ces villes que leur position seule appelle à une
haute fortune. Placée à cette pointe de l'Afrique qui semble aller à la rencontre
de la Sicile pour fermer le canal de Malte, et qui commande le passage entre les
deux grands bassins de la Méditerranée, Carthage devint la Tyr de l'Occident,
mais dans des proportions colossales, parce que l'Atlas, avec ses indomptables
montagnards, n'était pas, comme le Liban à Tyr, au pied de ses murs, lui barrant
le passage, lui disputant l'espace ; parce qu'elle n'était pas cernée, comme
Palmyre, par le désert et ses nomades ; parce qu'elle put enfin, s'appuyant sur
deux grandes et fertiles provinces (Bysacène et Zeugitane), s'étendre sur le vaste
continent placé derrière elle, sans y être arrêtée par de puissants Etats.
De telles positions appellent fatalement à elles les constructions des hommes.
Carthage, deux fois détruite, se relèvera sans doute encore2. Un peuple civilisé
viendra, quelque jour, à l'exemple des Romains, mettre à profit les avantages
d'une situation unique au monde. Ce peuple, quel sera-t-il ? Peut-être le peuple
français... Que ses destinées l'y conduisent !
Où sont-elles donc les ruines de la grande Carthage ? La vengeance de Rome
avait été si terrible, que les Romains eux-mêmes purent se demander bientôt si
les cendres de leur vieille ennemie n'étaient pas toutes dispersées par le vent3.
Plus tard, la fureur des Arabes eut des effets si funestes, que l'Europe put douter
qu'il restât encore sur la côte d'Afrique un seul vestige de l'antique rivale de
Rome4. Mais, pendant que l'Europe demeurait indifférente au sort des
monuments du passé, pendant que la science archéologique semblait dédaigner
l'examen d'un grand problème, des historiens arabes mentionnaient en leurs
écrits l'imposant aspect de ces débris d'un autre âge5, et leurs avides
coreligionnaires volaient tout ce qu'ils pouvaient de ces ruines. Les Barbaresques
n'ont jamais cessé de remuer la poussière punique, et d'enrichir leurs kasbahs6
des dépouilles de la grande cité. Alger possède plus d'une colonne carthaginoise.
Achmet-Bey, lors de la construction du palais de Constantine, devenu la
demeure officielle du général de division commandant la province, avait fait
prendre à Byrsa un nombre considérable de belles pierres de taille. Aujourd'hui
encore, la vieille Carthage n'est pour le bey de Tunis qu'une vaste carrière de
marbres précieux. Il faut être juste aussi : pendant que les immortels vers du
Tasse pleuraient sur l'antique cité effacée du monde, des gens qui savaient par
cœur la Jérusalem, des Pisans surtout et des Génois, venaient dans la plaine où
fut Carthage faire une ample moisson de fûts et de chapiteaux. Cycles
mystérieux de l'histoire des peuples ! ces pirates italiotes rapportaient souvent
dans leurs