Page 48 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
P. 48
48
réserve le puissant génie de cette race tyrienne, qui, à peine mouillée dans les
eaux d'une côte étrangère, osait s'y tailler d'aussi vastes abris.
Si l'on demande enfin quelle pouvait être l'architecture des édifices primitifs
élevés par Elissa, et s'il existait alors un ordre phénicien, il convient de répondre
affirmativement. Un chapitre de la Bible1, quelques vers de Virgile2, enfin les
récentes recherches de M. Beulé, ne peuvent laisser aucun doute à cet égard.
Nous savons qu'un architecte tyrien, du nom de Hiram, a construit le temple de
Salomon, et que le roi de Tyr, son homonyme, a élevé, à Tyr même, des édifices
semblables. Il suffit, dès lors, d'étudier le style de ce temple pour se faire une
idée du goût architectonique qui devait encore être de mode au temps d'Elissa.
Or la colonne de Salomon ou de Hiram avait 18 coudées, soit près de 8 mètres
de hauteur3 ; le chapiteau correspondant, seulement 5 coudées ou environ
2m,204. Ces proportions, qui accusent encore l'enfance de l'art, sont néanmoins
loin d'être disgracieuses. Le fût était de bronze, et les teintes du métal se
rehaussaient d'une riche ornementation5. Le chapiteau, également de bronze,
affectait tantôt la forme cylindrique6, tantôt celle d'une fleur de lis7.
Les ingénieurs tyriens employaient aussi dans leurs édifices des colonnes,
probablement monolithes, de granit8, de marbre, ou simplement de tuf pris sur
place et revêtu d'un enduit en stuc9. Quant aux architraves et aux poutres de
l'intérieur des édifices, elles étaient de bois de cèdre10 et renforcées d'armatures
de bronze11.
Dans le dessin des plans d'ensemble et des divers éléments des édifices,
l'architecture tyrienne semble affectionner tout particulièrement la forme
circulaire et la forme semi-circulaire. Comme le port de Tyr, comme celui
d'Utique, le port militaire de Carthage était un cercle exact et complet12. Les
cales qui régnaient en son pourtour formaient chacune le fer à cheval. Ce tracé
en cul-de-four se reproduit à Carthage d'une manière constante et monotone :
c'est celui de la casemate des fortifications de Byrsa, celui de la niche sépulcrale
des nécropoles. M. Beulé, qui a retrouvé et dessiné chacun de ces éléments,
observe aussi que les murs des édifices offrent partout un appareil colossal, et se
Rois, III, VII.
2 Enéide, I.
3 Rois, III, VII, 15.
4 Rois, III, VII, 16.
5 Le chapitre VII du IIIe livre des Rois est à lire en entier, si l'on veut se faire
une juste idée de l'art carthaginois.
6 Rois, III, VII, 41.
7 Rois, III, VII, 19.
8 La cathédrale d'Alger possède deux magnifiques colonnes de granit vert, tirées
des ruines de Cherchell ; nous soupçonnons fort le roi Juba de les avoir jadis