Page 88 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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               Carthaginois, dit le texte même du récit de l'expédition1, résolurent qu'Hannon
               naviguerait  au  delà  des  Colonnes,  et  qu'il  fonderait  des  colonies  de  Liby-
               Phéniciens. Il partit, emmenant soixante vaisseaux, un grand nombre d'hommes
               et de femmes, environ trente mille, des provisions et tout le matériel nécessaire...

               Ces  émigrations  en  masse, ces transportations de  populations  entières, étaient
               dans les habitudes des Phéniciens et des Carthaginois. Tyr avait jeté sur le sol de
               Carthage  les  éléments  sociaux  qui  l'agitaient,  et  Carthage,  à  son  tour,
               rafraîchissait  sa  sève  en  replantant  au  loin  des  rejetons  qui  menaçaient  de  la
               dévorer.

               Les Liby-Phéniciens étaient nombreux ; ils avaient un esprit militaire prononcé,
               et  tenaient  en  grande  haine  les  Carthaginois,  qui  les  écrasaient  d'impôts.  Le
               gouvernement craignit qu'ils ne fissent cause commune avec les Libyens, dont la
               soumission définitive était encore problématique, et, sans scrupules, il détourna
               la tempête vers des plages lointaines.

               Hannon  avait  l'ordre  de  déposer  les  colons  sur  les  côtes  de  l'Océan,  de  les  y
               installer à demeure, en restaurant à cet effet tous les établissements créés par les
               Phéniciens,  du  XIIe  au  IXe  siècle  avant  l'ère  chrétienne.  Les  émigrants
               trouvèrent  encore  des  vestiges  de  cette  antique  occupation,  qu'on  leur  avait
               signalée. Les palmiers et la vigne qu'ils rencontrèrent attestaient bien un long
               séjour de navigateurs venus de l'Orient2 Quant au temple de Lixos, qu'on leur
               disait  l'aîné  de  celui  de  Gadès3,  et  à  toutes  ces  villes  florissantes  qui  jadis
               garnissaient la côte, ce n'étaient plus que des ruines4. La civilisation orientale
               n'avait  pas  su  séduire  les  populations  de  l'Afrique,  ni  modifier  leurs  instincts
               sauvages. Elle était complètement effacée.

               Quand il  eut parachevé la  création  des  colonies  carthaginoises,  Hannon tint  à
               remplir sa mission scientifique. Il explora les côtes occidentales du continent,
               pour  obtenir  des  données  géographiques  sur  cette  région,  alors  inconnue,  du
               globe,  et  ouvrir,  s'il  était  possible,  à  son  pays  de  nouveaux  débouchés
               commerciaux.

               A quelle latitude Hannon osa-t-il descendre ? Du temps d'Hérodote, dit Heeren,
               les Carthaginois avaient établi une navigation régulière jusqu'à la côte d'Or, dont
               le chemin n'a pu être «frayé que par le périple. M. Charles Müller5 ne conduit
               les Carthaginois que sur la côte de Sierra-Leone ; d'autres commentateurs, plus
               timides, ne veulent pas qu'Hannon ait dépassé le Sénégal. A notre sens, chacun
               est resté jusqu'ici au-dessous de la vérité, et nous pensons qu'Hannon est allé
               jusqu'à l'équateur.

               Ce  qui  tendrait  à le prouver, c'est le  fait des  gorilles donnés par  Hannon lui-
               même au musée de Carthage. Nous approchâmes, dit le texte du Périple, d'un



               1 Une inscription commémorative, placée dans l'un des temples de Carthage, en

               rappelait  les  faits  principaux.  Cette  inscription  était  sans  doute  en  langue
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