Page 90 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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               golfe appelé la Corne du Sud. Dans l'angle de ce golfe, il y avait une île pareille
               à l'autre dont nous avons parlé, laquelle contenait un lac. Celui-ci renfermait à
               son tour une autre île habitée par des hommes sauvages ; mais la plupart de ces
               êtres étaient des femmes au corps velu, que nos interprètes appelaient gorilles1.
               Nous ne pûmes attraper les hommes ; ils s'enfuirent dans les montagnes, et se

               défendirent  avec  des  pierres.  Quant  aux  femmes,  nous  en  prîmes  trois,  qui
               mordirent  ou  égratignèrent  leurs  conducteurs,  et  ne  voulurent  pas  les  suivre.
               Nous les tuâmes pour en avoir la peau, que nous rapportâmes à Carthage2.

               Le gorille, qui fut vraisemblablement le motif des fables les plus étranges de
               l'antiquité3, est un énorme singe d'une force musculaire au moins égale à celle
               du  lion.  Ce  féroce  omnivore  est,  comme  l'éléphant  et  l'hippopotame,  l'un  des
               derniers  représentants  de  ces  créations  paléontologiques,  aux  proportions
               gigantesques, qui peuplaient le globe durant la période antéhistorique4.

               D'intrépides voyageurs ont, tout récemment, retrouvé le gorille5. Or où voit-on
               aujourd'hui ce quadrumane géant ? Au Gabon. On sait d'ailleurs que la faune
               d'une région terrestre ne se modifie que sous la main de l'homme, ou l'influence
               de quelque grande révolution géologique. Le continent africain ne semble pas
               avoir été le théâtre de bouleversements récents, et les nègres se gardent bien de
               traquer  le  gorille. On  peut  en induire  que  ce grand singe n'a  point changé de
               latitude,  et  qu'au  temps  du  périple  il  habitait,  comme  aujourd'hui,  le  Gabon.
               Hannon ne se serait donc pas arrêté aux îles Sherboro, comme le veut M. Müller,
               et l'on peut admettre qu'il est allé jusqu'à la zone équatoriale.

               Quoi  qu'il  en  soit,  au  moment  même  où  l'illustre  navigateur  doublait  le  cap
               Spartel,  d'autres  voiles  carthaginoises  couvraient  le  détroit  de  Gibraltar  et
               rangeaient les côtes occidentales de l'Espagne. C'était une seconde expédition,
               confiée par le sénat à un autre fils d'Amilcar6. Jusqu'au détroit, Imilcon avait
               navigué de conserve avec son frère. Là il se sépara de lui, et alla déposer des
               Liby-Phéniciens dans les Algarves, depuis l'embouchure de la Guadiana jusqu'au
               cap Saint-Vincent. Cette mission politique était, comme celle d'Hannon, doublée
               d'instructions afférentes à un voyage de découvertes.

               Les  navires  d'Imilcon  mouillèrent  les  côtes  d'Espagne  et  de  France,  les  îles
               Britanniques  et  peut-être  le  Jutland  méridional7.  La  relation  de  cette  longue
               navigation  côtière, qui n'est  point  venue  jusqu'à nous, semble  avoir  inspiré  le
               poème  géographique  d'Avienus8.  Un  passage  de  l’Ora  maritima  détermine

               nettement  la  limite  extrême  des  reconnaissances  faites  par  Imilcon  :  On  met
               deux jours, y est-il dit, pour aller en bateau des îles Œstrymnides à l'île Sacrée,
               comme on l'appelait jadis, et qui sert de demeure au peuple des Hiberniens. L'île



               1 Les nègres appellent encore le gorille tooralla. Γορίλλα n'est peut-être que le
               mot τοράλλα défiguré.
                 Pline, VI, XXXVI.
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