Page 92 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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des Albions se trouve à côté. On ne saurait s'y méprendre : le sinus
Œstrymnicus, c'est le canal Saint-Georges ; les îles Œstrymnides, ce sont les
Sorlingues.
Telles étaient les grandes entreprises de Carthage, au Ve siècle avant notre ère.
La République suivait, dans le cours de ces conquêtes, une politique fort sage, et
montrait une modération basée sur la convenance de ne pas occuper plus de
territoire qu'elle n'en pouvait garder d'une manière facile et sûre. Dans cet ordre
d'idées, elle faisait peu de cas des continents, dont elle ne prenait, çà et là, que
quelques points. En Libye, elle restreignit son domaine à l'Afrique propre, et
n'eut jamais que des comptoirs fortifiés sur le reste des côtes occidentale et
septentrionale de la terre africaine. De même, en Espagne, elle ne créa d'abord
que des établissements commerciaux, et ce ne fut qu'au temps des guerres
puniques qu'elle en vint à méditer la conquête du pays. Carthage semblait avoir
conscience de son peu de succès dans l'art de gouverner les peuples, et
comprendre qu'une métropole ne peut, même à l'aide d'une marine puissante,
maintenir dans le devoir des continents qui, se suffisant à eux-mêmes, ferment
leurs ports ou les laissent tranquillement bloquer1.
En revanche, la République tenait beaucoup à la possession des îles, la plus
avantageuse de toutes pour un peuple navigateur.
Outre la Sicile, la Sardaigne et la Corse, elle colonisa de bonne heure Lipari,
Malte, dont elle fit le siège de ses grands établissements industriels ; les
Kerkeney, dont l'une devait un jour donner asile au grand Annibal ; les Canaries,
les îles du Cap-Vert, peut-être l'archipel des Açores, dernier vestige de cette
Atlantide, où, suivant Platon, les descendants de Neptune régnèrent durant neuf
mille ans. De ces îles des Açores et du Cap-Vert, sommets supérieurs d'un
continent sans doute englouti lors du soulèvement des Pyrénées et de la rupture
qui donna naissance au détroit de Gibraltar ; de ces îles la distance aux Antilles
n'est pas considérable, et quelques esprits sérieux ont hasardé l'hypothèse de la
découverte de l'Amérique par les Carthaginois. On prétend même avoir trouvé
des débris puniques dans une forêt des environs de Boston2.
Mais il est sans doute téméraire de porter aussi loin les limites de Carthage, et de
se laisser aller à des affirmations que n'autorise pas l'état actuel de la science. On
peut encore, sans sortir du champ des certitudes historiques, proclamer
hautement que, au temps de sa splendeur, l'empire carthaginois avait des
proportions et une puissance supérieures à celles de nos plus grands Etats
modernes.
Les Grecs de Cyrène contenus, l'Egypte menacée et Thèbes presque détruite,
l'intérieur de l'Afrique parcouru, l'Espagne et la Gaule tournées, le Sénégal
reconnu, les Canaries découvertes, l'Amérique peut-être pressentie, et annoncée
Christophe Colomb par cette statue de l'île de Madère qui, du bras étendu,
montrait l'occident : voilà ce que fit l'humble colonie déposée par Tyr au pied du
Beau Promontoire3.