Page 86 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
P. 86
86
Le souvenir des Philènes et de leur noble dévouement a survécu, dit Valère-
Maxime1, à la ruine de leur patrie. Ils ont conquis une glorieuse sépulture, et
leurs os ont marqué la limite de l'empire carthaginois.
En effet, les autels des Philènes (aræ Philenorum, Φιλαίνων βωµοί) servirent
longtemps de borne au territoire de Carthage. On croit avoir retrouvé, un peu à
l'ouest de Muktar2, les ruines de ces monuments funéraires, qui n'existaient déjà
plus au temps de Strabon3.
Ce n'est pas seulement vers la Cyrénaïque et l'Egypte que Carthage étendait sa
puissance ; elle voulait asseoir aussi sa domination sur l'Afrique occidentale, ou,
tout au moins, y faire prévaloir son influence. Mais la nature même des hommes
et des choses lui créa, dans cette région, plus d'un obstacle imprévu. Ce fut
d'abord le soff’ète Malchus, qui dirigea les opérations de guerre contre des
indigènes4, qu'un génie guerrier rendait indomptables. A peine soumis, ils se
révoltaient et reprenaient une lutte que leurs adversaires croyaient terminée.
Leur contenance énergique inquiétait singulièrement Carthage, au point de
paralyser une partie de ses forces, comme il advint au temps de Darius5. Magon
le Grand recula bien les frontières du territoire punique6 ; mais ses fils, moins
heureux que lui, ne purent soustraire l'Etat à l'humiliante obligation de payer les
redevances stipulées pour l'occupation du sol de Carthage7.
C'est aux petits-fils de Magon qu'échut la gloire de pacifier l'Afrique. Après une
longue suite d'expéditions, qui ne dura pas moins de soixante et dix ans (479-
409), les indigènes renoncèrent à la perception de tout impôt8. Dès lors, la
République a conquis son indépendance. Elle a battu partout les Imazir'en et les
Maures, et son hégémonie prévaut sur toute la région comprise entre le Nil et
l'Océan.
C'est à cette époque de splendeur9 (490-440) qu'il convient de rapporter un
remarquable épisode des annales de Carthage, celui des périples exécutés par
Hannon et Imilcon, fils d'Amilcar et petits-fils de Magon le Grand.
Le périple d'Hannon10, ordonné par le sénat de Carthage, lut entrepris dans un
double but : il offrait d'abord un moyen simple de débarrasser la Bysacène de
son trop-plein de population ; c'était, en outre, un voyage scientifique. Les
Valère-Maxime, V, VI, 4.
2 Voyez la dissertation de M. C. Müller (t. I de la collection des Petits
Géographes grecs)
Stadiasmus maris Magni.
3 Strabon prend l'Εύφραντάς ωύργος (turris Euphrantas, aujourd'hui Kasr)
pour limite orientale de l'empire carthaginois.
Justin, XVIII, VII.
5 Justin, XIX, I.
6 Justin, XVIII, VII.