Page 78 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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invitait à y créer de vastes exploitations. Outre des mines d'argent et des
gisements de pierres précieuses dites sardoines, Carthage y trouvait de
magnifiques céréales, richesse inestimable à une époque où l'Europe et l'Afrique
étaient encore à peu près sans cultures. Aussi attacha-t-elle toujours un grand
prix à la Sardaigne. Elle en éloignait soigneusement les étrangers, et, suivant un
droit des gens que Montesquieu trouve avec raison fort étrange, elle faisait jeter
à l'eau les imprudents qui s'approchaient des côtes1.
Mais les trois grandes îles de Corse, de Sardaigne et de Sicile ne pouvaient pas
encore satisfaire à tous les besoins d'activité de la ville de Malchus. Il venait
d'ailleurs de se passer en Asie des événements graves, dont le contrecoup se
faisait sentir jusque dans l'extrême Occident. Les invasions de Salmanasar (vers
l'an 700), des Scythes (634-607), de Nabuchodonosor (586-574), avaient déjà
troublé le monde oriental, et les conquêtes de Cyrus (540) achevaient de le
bouleverser. Les populations, vaincues ou intimidées, émigraient en foule vers
l'Italie, la Gaule et l'Espagne, et les routes du commerce depuis longtemps
frayées subissaient une déviation violente. Les relations des Grecs n'échappèrent
point aux conséquences de cette perturbation, et l'on vit bientôt leurs navires se
porter partout où jusque-là les Carthaginois avaient su faire prévaloir le principe
du monopole. Sagonte, Ampurias, Roses, venaient de surgir de terre. Marseille
elle-même, débordant de population, venait d'écouler son trop-plein sur les
points qui furent plus tard les villes d'Agde, d'Antibes et de Nice.
Carthage ne pouvait assister en spectatrice indifférente à ces immenses progrès
de la Grèce en Occident. Il lui fallait une compensation qui lui permît de
conserver, avec l'attitude léonine qu'elle avait prise, cette hégémonie du monde
commercial, qui faisait sa fortune. Elle jetait les yeux sur l'Espagne, quand de
nouveaux événements survenus en Asie et en Egypte la détournèrent de ses
projets.
Cyrus, le fondateur du grand empire des Perses, avait eu pour successeur
Cambyse, et l'on vit ce nouveau prince se jeter dans les entreprises les plus
folles. Après avoir conquis l'Egypte, il prit pour objectif la ville de Carthage
elle-même ; mais l'expédition ne put réussir, parce que Tyr, métropole et alliée
fidèle, refusa de mettre sa marine à la disposition du roi de Perse. L'insensé
monarque ne se tint pas pour battu, et tenta de prendre la route de terre. Les
sables des a'reug d'Ammon (Syouah) enveloppèrent, comme on sait, son armée
et en engloutirent jusqu'au dernier homme (524). Carthage respira. Cette
immense équipée, suivie d'un si complet désastre, fut pour elle d'un haut
enseignement politique. Elle se tint dès lors en garde contre l'ambition
désordonnée des rois de Perse, et s'attacha à n'entretenir que de bonnes relations
avec leur gouvernement. Un seul fait témoignera de sa prudence. Il vint
Carthage, dit Justin2, des ambassadeurs du roi de Perse, Darius, apportant un
décret de ce prince, par lequel il défendait aux Carthaginois d'immoler des
victimes humaines et de se nourrir de chiens3. Il leur ordonnait en outre