Page 205 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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charme qui me consolait de mon isolement en terre étrangère. Cette
ferveur devint même la source d’un moyen d’existence. En effet,
pourquoi n’attribuerais-je pas à une grâce d’en haut la bonne fortune
que j’eus d’être chargé de plaider en latin quelques causes dont les
profits, bien que légers, suffirent pour me faire subsister ?
Quelques jours se passent ; et voilà qu’une autre sommation divine
m’arrive à l’improviste, avec des circonstances tout à fait
surnaturelles. Je suis appelé à une troisième initiation.
L’avertissement cette fois me jeta dans une vive inquiétude. Je n’y
pouvais rien comprendre, et me perdais dans mes suppositions ?
Devais-je donc être indéfiniment l’objet de cette céleste insistance ?
Après une première et une seconde initiation, n’étais-je donc pas
encore complètement initié ? Les deux pontifes consécrateurs
auraient-ils failli en quelque point à leur saint ministère ? Déjà leur
sincérité commençait à me devenir suspecte. J’étais dans une agitation
d’esprit qui touchait au délire, lorsqu’une nuit la divine image vient
doucement me rassurer : Cette succession d’épreuves, me dit-elle, n’a
rien qui doive t’effrayer, ni te faire croire à quelque omission dans les
précédentes. Réjouis-toi plutôt d’une faveur ainsi répétée. Tu dois
t’enorgueillir d’obtenir trois fois ce qu’il est à peine donné à l’homme
d’obtenir une. Ce nombre lui seul est pour toi le garant d’une éternelle
béatitude. La consécration qui t’attend est d’ailleurs indispensable.
Songe que la robe sacramentelle que tu as revêtue dans ta province ne
peut jamais sortir du sanctuaire, auquel son usage est consacré ; et qu’à
Rome aujourd’hui tu ne pourrais, dans un jour de solennité, faire tes
supplications en costume, ni te couvrir du vêtement bienheureux, si
l’ordre venait à t’en être donné. C’est donc pour ton bien, dans l’intérêt
de ton avenir, que cette troisième initiation est commandée par
l’autorité des dieux.
Une douce persuasion s’insinuait dans mon esprit durant cette
allocution divine. Le dieu daigna me prescrire aussi ce qu’il était
nécessaire de me procurer. Alors, sans plus attendre, sans remettre
l’affaire au lendemain, je vais trouver le grand prêtre, et lui rends
compte de ma vision. Je me soumets de nouveau à l’abstinence des
viandes, prolongeant même au delà de dix jours le temps de probation
prescrit par la loi. Tous mes préparatifs furent faits selon le même
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