Page 202 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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fixe  sur  moi  ses  regards  avides.  Je  célébrai  ensuite  mon  heureuse
         initiation par un délicat et somptueux banquet.   Trois jours durant, ma
         brillante intronisation se répéta avec l’accompagnement indispensable
         du religieux festin. Je demeurai là quelques jours encore plongé dans
         une  extatique  contemplation  de  l’image  de  la  déesse,  et  comme
         enchaîné par son ineffable bienfait.   Averti enfin par la divinité elle-
         même, et après lui avoir humblement payé un tribut d’actions de grâce,
         bien insuffisant sans doute, mais tel que le permettaient mes facultés,
         je songeai à regagner mes foyers, depuis si longtemps déserts. Mais ce
         ne fut pas sans brisement de cœur que la séparation se consomma.
         Prosterné devant la déesse, la face collée sur ses pieds divins, je les
         arrosai longtemps de mes larmes ; et, d’une voix étouffée plus d’une
         fois par les sanglots, je lui adressai cette prière :
            Divinité sainte, source éternelle de salut, protectrice adorable des
         mortels, qui leur prodigues dans leurs maux l’affection d’une tendre
         mère ;   pas un jour, pas une nuit, pas un moment ne s’écoule qui ne
         soit marqué par un de tes bienfaits. Sur la terre, sur la mer, toujours tu
         es là pour nous sauver ; pour nous tendre, au milieu des tourmentes de
         la vie, une main secourable ; pour débrouiller la trame inextricable des
         destins,  calmer  les  tempêtes  de  la  Fortune,  et  conjurer  la  maligne
         influence  des  constellations.      Vénérée  dans  le  ciel,  respectée  aux
         enfers,  par  toi  le  globe  tourne,  le  soleil  éclaire,  l’univers  est  régi,
         l’enfer  contenu.  À  ta  voix,  les  sphères  se  meuvent,  les  siècles  se
         succèdent, les immortels se réjouissent, les éléments se coordonnent.
         Un signe de toi fait souffler les vents, gonfler les nuées, germer les
         semences,  éclore  les  germes.  Ta  majesté  est  redoutable  à  l’oiseau
         volant dans les airs, à la bête sauvage errant sur les montagnes, au
         serpent caché dans le creux de la terre, au monstre marin plongeant
         dans l’abîme sans fond.   Mais quoi ! ni mon génie n’est à la hauteur
         de tes louanges, ni ma fortune ne suffit à t’offrir de dignes sacrifices.
         Ma faible voix ne peut exprimer ce que ta majesté m’inspire, et ce que
         mille  bouches,  mille  voix  douées  d’une  intarissable  éloquence  ne
         parviendraient pas à exprimer.   Dans ma pauvreté, je ferai du moins
         ce  qui  est  possible  au  cœur  religieux.  Ton  image  sacrée  restera
         profondément gravée dans mon âme, et toujours présente à ma pensée.
         Cette invocation terminée, je me jetai au cou du grand prêtre Mithras,



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