Page 204 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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à la faire connaître. Son talon gauche était un peu rentré, ce qui le
faisait légèrement boiter en marchant. Dès lors plus d’obscurité. La
volonté divine devenait manifeste. Aussi, après avoir offert ma prière
du matin à la déesse, je passai avec soin tous les prêtres en revue,
cherchant des yeux celui dont la démarche concordait avec mon rêve ;
et je ne fus pas longtemps à le trouver, car l’un des Pastophores, outre
la conformité du pied boiteux, rappelait exactement ma vision pour la
taille et la tournure. Je sus depuis qu’il s’appelait Asinius Marcellus ;
rapprochement assez bizarre avec ma métamorphose. Je l’abordai
sans délai, et le trouvai tout préparé à ce que j’avais à lui dire ; car il
avait eu de son côté une communication coïncidant avec la mienne, et
s’était vu désigné d’en haut pour le ministère de consécration. Il avait
effectivement rêvé la nuit précédente qu’au moment où sa main posait
des couronnes sur la tête du grand Osiris, la voix prophétique du dieu
s’était fait entendre, lui annonçant l’arrivée d’un homme de Madaure
qui était fort pauvre, et devait être admis, sans délai, à l’initiation ;
qu’il en reviendrait grand honneur au zélé néophyte et grand profit à
son consécrateur.
Je me trouvais donc dévolu aux saintes épreuves, et ma pauvreté
seule y formait empêchement, car les frais de mon voyage avaient
réduit presque à rien mon mince patrimoine ; et la vie de Rome était
bien autrement dispendieuse que celle de ma province. Ma position
était des plus cruelles. Je me voyais placé, à la lettre, entre l’enclume
et le marteau. Le dieu ne cessait de me presser. Plusieurs fois sa voix
m’invita, non sans me causer un trouble extrême. Enfin, l’invitation
devint commandement. Je me décidai donc à me défaire de ma garde-
robe ; et, quelque chétive qu’elle fût, j’en tirai la somme qu’il me
fallait. En cela j’obéissais à une injonction spéciale. Eh quoi ! me dit
le dieu, pour te procurer un plaisir tu ne regarderais pas à la possession
de quelques hardes, et tu hésites devant les exigences d’une cérémonie
sainte ! tu redoutes une pauvreté dont tu ne peux avoir à te repentir !
Tout étant disposé, je m’abstins encore dix jours entiers de nourriture
animale. De plus, je me fis admettre aux nocturnes orgies du grand
Sérapis. Les deux religions sont sœurs. Instruit dans l’une, j’abordai
avec plus de confiance mon noviciat dans l’autre, dont je devins
bientôt l’observateur le plus assidu. Je trouvais dans ma ferveur un
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