Page 199 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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sainte.      Mais  ce  grave  personnage,  d’une  rigidité  d’observance
         devenue  presque  proverbiale,  temporisait  avec  mon  impatience,
         toujours  de  ce  ton  de  douceur  et  de  bienveillance  qu’un  père  sait
         opposer à la fougue inconsidérée de son fils ; et toujours il me flattait
         de l’espoir d’une satisfaction prochaine.   Il fallait, disait-il, que la
         déesse indiquât elle-même le jour de mon initiation, qu’elle désignât
         le  prêtre  qui  me  consacrerait :  sa  prévoyance  allait  même  jusqu’à
         régler la dépense de la cérémonie par les instructions les plus précises.
         C’étaient là des préliminaires indispensables, auxquels, selon lui, force
         était  de  me  soumettre.  Il  fallait  me  défendre  de  toute  précipitation
         comme de tout esprit de résistance ; me garder avec le même soin de
         devancer l’ordre et de ne pas répondre à l’appel.   Aucun des prêtres,
         d’ailleurs, ne pousserait la démence, le mépris de sa propre vie, jusqu’à
         s’ingérer,  sans  ordre  formel  de  la  déesse,  dans  le  ministère  de
         consécration. Il y allait de la peine du sacrilège. La déesse tenait de la
         même  main  les  clefs  de  l’enfer  et  celles  des  portes  du  salut.
         L’initiation était une sorte de mort volontaire, avec une autre vie en
         expectative.  La  déesse  prenait  le  temps  où  l’on  se  trouve  placé  à
         l’extrême  limite  de  la  vie  temporelle,  pour  exiger  du  néophyte  la
         garantie  du  secret  inviolable ;  c’est  alors  que,  par  une  sorte  de
         renaissance providentielle, s’ouvre pour lui une existence de béatitude.
         Quelque  claire  et  manifeste  que  fût  la  vocation  d’en  haut  qui
         m’appelait au saint ministère, il fallait donc attendre que l’ordre actuel
         m’en  fût  intimé.      Je  devais  toutefois,  à  l’exemple  des  initiés,
         préalablement m’abstenir des aliments profanes et défendus. L’accès
         n’en serait pour moi que plus facile aux saints mystères de la plus pure
         de toutes les religions.
            Ainsi parla le grand prêtre ; et ma soumission triompha de mon
         impatience. Je me montrai calme, résigné, rigoureux observateur du
         silence, et ne manquai pas un seul jour d’assister à la célébration des
         offices divins.   Mon espoir ne fut pas trompé, et l’ineffable bénignité
         de la grande déesse m’épargna le supplice d’une longue attente. Un
         avertissement  clairement  exprimé,  par  une  nuit  des  plus  obscures,
         m’annonça qu’enfin allait luire pour moi le jour à jamais désirable   où
         mon voeu le plus cher serait enfin comblé. Je fus instruit par la même
         voie de la somme nécessaire aux frais de ma réception, ainsi que du



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