Page 196 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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oppressée par l’inspiration. Aussitôt, me mêlant à la foule religieuse,
je suivis la marche du sacré cortège. Objet de l’attention universelle,
c’était moi que chacun montrait du doigt et du geste. On ne parlait
que de moi. Voilà, disait-on, celui que la toute-puissante volonté de la
déesse vient de rendre à la forme humaine. Heureux, trois fois
heureux le mortel à qui une conduite irréprochable sans doute aura
valu cette éclatante protection d’en haut, et qui renaît en quelque sorte
pour être aussitôt voué au saint ministère ! Toujours marchant au
milieu d’un concert de œuvre, le cortège arrive sur le bord de la mer,
précisément à l’endroit où j’avais, sous ma forme d’âne, pris gîte la
nuit précédente. Là, suivant un cérémonial prescrit, sont déposés les
simulacres divins. Le grand prêtre s’approche d’un vaisseau de
construction merveilleuse, dont l’extérieur était peint sur toutes les
faces de ces signes mystérieux adoptés par les Égyptiens ; il le purifie,
dans les formes, avec une torche allumée, un oeuf et du soufre ; et
l’ayant ensuite nommé, il le consacre à la déesse. Sur la blanche voile
du fortuné navire se lisaient des caractères, dont le sens était un voeu
pour la prospérité du commerce maritime renaissant avec la saison
nouvelle. Le mât se dresse alors. C’était un pin d’une parfaite rondeur,
du plus beau luisant, et d’une hauteur prodigieuse, dont la hune surtout
attirait les regards. La poupe, au cou de cygne recourbé, était revêtue
de lames étincelantes ; et la carène, construite entièrement de bois de
citronnier du plus beau poli, faisait plaisir à voir. Tous bientôt, initiés
ou profanes, apportent à l’envi des vases remplis d’aromates et de
diverses offrandes, et font sur les flots des libations de lait caillé,
jusqu’au moment où le navire chargé de présents et de pieuses
offrandes, libre enfin des liens qui le retenaient à l’ancre, et profitant
d’un vent doux qui s’élevait exprès, eut gagné la haute mer. Et
lorsqu’il n’apparut plus que comme un point dans l’espace, les
porteurs d’objets sacrés, qui avaient déposé leurs fardeaux, les
reprirent, et la procession se remit en marche dans le même ordre pour
rentrer au temple.
Arrivés au sacré parvis, le grand prêtre, ceux qui portent les saintes
effigies, et ceux qui sont depuis longtemps initiés aux mystères
vénérables, entrent dans le sanctuaire de la déesse, et y replacent ces
images qui semblent respirer. Alors l’un d’eux, à qui l’on donnait le
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