Page 191 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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rayonner le bonheur sur la figure des animaux, sur les façades des
         maisons, dans l’air et partout.   La nuit avait été froide, mais le jour
         avait ramené la plus aimable des températures. Le chant des oiselets
         égayés,  par  les  émanations  printanières,  saluait  d’un  concert
         mélodieux  la  puissance  créatrice  des  astres,  mère  des  temps,
         souveraine de l’univers.   Les arbres même, et ceux qui produisent des
         fruits,  et  ceux  qui  se  contentent  de  nous  offrir  de  l’ombre,
         s’épanouissaient  au  souffle  du  midi,  et,  se  parant  de  leur  naissant
         feuillage, envoyaient de joyeux murmures au travers de leurs rameaux.
         La tempête avait cessé de mugir, les vagues de s’enfler. Le flot venait
         paisiblement  expirer  sur  la  grève.  Pas  un  nuage  n’altérait  l’azur
         éclatant de la voûte des cieux.
            Bientôt  défile,  ouvrant  la  marche,  un  cortège  de  personnes
         travesties  par  suite  de  œuvre,  et  qui  offrent  le  coup  d’œil  le  plus
         piquant par la variété de leurs costumes.   L’un, ceint du baudrier,
         représente  un  soldat.  L’autre  s’avance  en  chasseur,  la  chlamyde
         retroussée,  armé  de  l’épieu  et  du  coutelas  recourbé.  Celui-ci  est
         chaussé  de  brodequins  dorés.  À  sa  robe  de  soie,  à  son  luxe
         d’ornements, à l’arrangement coquet de ses cheveux attachés sur le
         sommet de la tête, à la mollesse de sa démarche, on dirait une femme.
         Celui-là, des bottines aux pieds, le casque en tète, armé d’un bouclier
         et d’une épée, semble sortir d’une arène de gladiateurs. Tel, avec la
         pourpre et les faisceaux, parodie le magistrat, tel étale manteau, bâton,
         sandales, barbe de bouc, tout l’attirail de la philosophie. Il y avait un
         oiseleur avec ses gluaux, un pêcheur avec son hameçon.   Je remarquai
         aussi une ourse privée qu’on portait dans une chaise, en costume de
         grande  dame ;  puis  un  singe  coiffé  du  bonnet  phrygien,  en  cotte
         safranée, qui, tenant une coupe d’or, avait la prétention de figurer le
         beau Ganymède. Enfin venait un âne, affublé d’une paire d’ailes, et
         monté  par  un  vieillard  décrépit ;  ce  couple  parodiait  Pégase  et
         Bellérophon de façon à faire mourir de rire.
            Au  milieu  de  ces  personnifications  burlesques,  accessoires
         bouffons destinés au peuple, s’avançait majestueusement le cortège de
         la déesse protectrice.   Partout des groupes de femmes vêtues de blanc,
         couronnées  de  guirlandes  printanières,  et  portant  gaiement  divers
         attributs, jonchaient le sol de fleurs sur son passage. D’autres avaient



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