Page 189 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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sa droite était un sistre d’airain, dont la lame étroite et courbée en
forme de baudrier était traversée de trois petites baguettes, qui,
touchées d’un même coup, rendaient un tintement aigu. De sa main
gauche pendait un vase d’or en forme de gondole, dont l’anse, à la
partie saillante, était surmontée d’un aspic à la tête droite, au cou
démesurément gonflé. Ses pieds divins étaient chaussés de sandales
tissues de la feuille du palmier, arbre de la victoire. Dans cet imposant
appareil, exhalant tous les parfums de l’Arabie, la divine apparition
daigna m’honorer de ces paroles :
Je viens à toi, Lucius, émue par tes prières. Je suis la Nature, mère
de toutes choses, maîtresse des éléments, principe originel des siècles,
divinité suprême, reine des Mânes, la première entre les habitants du
ciel, type universel des dieux et des déesses. L’Empyrée et ses voûtes
lumineuses, la mer et ses brises salubres, l’enfer et ses silencieux
chaos, obéissent à mes lois : puissance unique adorée sous autant
d’aspects, de formes, de cultes et de noms qu’il y a de peuples sur la
terre. Pour la race primitive des Phrygiens, je suis la déesse de
Pessinonte et la mère des dieux ; le peuple autochtone de l’Attique me
nomme Minerve Cécropienne. Je suis Vénus Paphienne pour les
insulaires de Chypre, Diane Dictynne pour les Crétois aux flèches
inévitables. Dans les trois langues de Sicile, j’ai nom Proserpine
Stygienne, Cérès Antique à Éleusis. Les uns m’invoquent sous celui
de Junon, les autres sous celui de Bellone. Je suis Hécate ici, là je suis
Rhamnusie. Mais les peuples d’Éthiopie, de l’Ariane et de l’antique et
docte Égypte, contrées que le soleil favorise de ses rayons naissants,
seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de
déesse Isis. Sèche tes larmes, cesse tes plaintes ; j’ai pitié de tes
infortunes : je viens à toi favorable et propice. Bannis le noir chagrin ;
ma providence va faire naître pour toi le jour du salut. Prête donc à
mes commandements une oreille attentive. Le jour qui naîtra de cette
nuit me fut consacré par la religion de tous les siècles. Ce jour, l’hiver
aura fui avec ses tempêtes ; le calme sera rendu aux flots agités, la mer
redeviendra navigable. Et mes prêtres vont me faire offrande d’un
vaisseau vierge encore du contact de l’onde, comme inauguration du
commerce renaissant. Attends cette solennité d’un cœur confiant et
d’une âme religieuse.
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