Page 187 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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XI
Vers la première veille de la nuit, un soudain éclat de lumière me
réveille en sursaut ; c’était la lune dans son plein, dont le disque
éblouissant s’élevait alors du sein des mers. Le silence, la solitude,
l’heure mystérieuse, invitaient au recueillement. Je savais que la lune,
divinité du premier ordre, exerce un souverain pouvoir et préside aux
choses d’ici-bas ; que tout ce qui vit à l’état privé ou sauvage, que la
matière inerte même subit l’action ou l’influence de sa puissance
divine et de sa lumière ; que sur terre, aux cieux, au fond des eaux,
l’accroissement des corps et leur décroissement est régi par ses lois.
Le sort, las enfin de me persécuter, semblait m’offrir, bien qu’un peu
tard, une chance de salut. L’idée me vint d’adorer la déesse, dans
l’image auguste en ce moment présente à mes yeux. Je me hâte de
secouer un reste de sommeil, et je me relève dispos. Pour me purifier
je commence par me baigner dans la mer, en plongeant la tête sept fois
sous les flots, nombre auquel le divin Pythagore attribue un rapport
mystique avec les actes du culte religieux. Et, dans un transport de joie,
dont la ferveur allait jusqu’aux larmes, j’adresse cette prière à la
puissante divinité :
Reine des cieux, qui que tu sois, bienfaisante Cérès, mère des
moissons, inventrice du labourage, qui, joyeuse d’avoir retrouvé ta
fille, instruisis l’homme à remplacer les sauvages banquets du vieux
gland par une plus douce nourriture ; toi qui protèges les guérets
d’Éleusis ; Vénus céleste, qui, dès les premiers jours du monde,
donnas l’être à l’Amour pour faire cesser l’antagonisme des deux
sexes, et perpétuer par la génération l’existence de la race humaine ;
toi qui te plais à habiter le temple insulaire de Paphos, chaste sœur de
Phébus, dont la secourable assistance au travail de l’enfantement a
peuplé le vaste univers ; divinité qu’on adore dans le magnifique
sanctuaire d’Éphèse ; redoutable Proserpine, au nocturne hurlement,
qui, sous ta triple forme, tiens les ombres dans l’obéissance ; geôlière
des prisons souterraines du globe ; toi qui parcours en souveraine tant
de bois sacrés, divinité aux cent cultes divers, ô toi dont les pudiques
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