Page 188 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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rayons  arpentent  les  murs  de  nos  villes,  et  pénètrent  d’une  rosée
         féconde nos joyeux sillons ; qui nous consoles de l’absence du soleil
         en nous dispensant ta pâle lumière ; sous quelque nom, dans quelque
         rit, sous quelques traits qu’il faille t’invoquer,   daigne m’assister dans
         ma détresse, affermis ma fortune chancelante. Qu’après tant d’assauts
         j’obtienne enfin paix ou trêve ; qu’il suffise de tant d’épreuves, de tant
         de traverses. Ote-moi cette hideuse enveloppe de quadrupède ; rends-
         moi aux regards des miens, à ma forme de Lucius. Et si quelque dieu
         irrité me poursuit d’un courroux implacable, que je puisse mourir du
         moins puisqu’il ne m’est pas permis de vivre.
            Après cette prière, accompagnée de lamentations à fendre le cœur,
         je retombai dans mon abattement, et, m’étant recouché, le sommeil
         vint de nouveau s’emparer de moi.   À peine avais-je fermé les yeux,
         que du sein des mers s’élève d’abord une face imposante à commander
         le respect aux dieux mêmes ; puis un corps tout entier, resplendissant
         de la plus vive lumière. Cette auguste figure sort des flots, et se place
         devant moi.   Je veux essayer de tracer ici son image, autant qu’il est
         possible au langage humain. Peut-être l’inspiration divine viendra-t-
         elle féconder mon expression, et lui donner la couleur qui lui manque.
              Une épaisse et longue chevelure, partagée en boules gracieuses,
         flottait négligemment derrière le cou de la déesse. Une couronne de
         fleurs mêlées, placée au sommet de sa tête, venait des deux côtés se
         rejoindre sur son front à l’orbe d’une plaque circulaire en forme de
         miroir, dont la blanche clarté faisait reconnaître la lune.   Le long de
         ses tempes, régnait en guise de bandeau des vipères dressant la tête.
         Elle portait une robe du tissu le plus délié, dont la couleur changeante
         se nuançait tour à tour de blanc pâle, de jaune safrané, et du rose le
         plus vif ; mais ce qui surprit le plus mes yeux, ce fut son manteau ; il
         était du noir le plus brillant, et jeté, comme un bouclier, en travers de
         son dos, du flanc droit à l’épaule gauche. Un des bouts, garni des plus
         riches franges, retombait à plis nombreux.
            Sur le fond du manteau se détachait un semis de brillantes étoiles,
         et dans le milieu se montrait une lune dans son plein, toute rayonnante
         de  lumière.  Les  parties  que  l’œil  pouvait  saisir  de  l’encadrement
         offraient  une  série  continue  de  fleurs  et  de  fruits  entremêlés  en
         guirlandes.   La déesse tenait dans ses mains différents attributs. Dans



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