Page 184 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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elle promet au berger, s’il lui adjuge le prix de la beauté, de lui donner
         l’empire d’Asie.   La belle au costume guerrier, la Minerve de la pièce,
         est  escortée  par  deux  jeunes  garçons  personnifiant  le  Trouble  et
         l’Effroi. Ces fidèles écuyers de la déité redoutable bondissent à ses
         côtés, agitant des épées nues. Derrière elle, un joueur de flûte exécute
         un air belliqueux sur le mode dorien, dont les notes, graves comme
         celles du clairon, contrastant avec les sons aigus propres à la flûte,
         accompagnent énergiquement les pas précipités de la danse martiale.
         La  déesse  agite  fièrement  la  tête,  menace  des  yeux,  et  d’un  geste
         violent et superbe fait comprendre à Pâris que s’il donne à sa beauté la
         palme, elle fera de lui un héros et le couvrira des lauriers de la gloire.
            Vénus avance à son tour, accueillie par les murmures flatteurs de
         l’assemblée, et s’arrête au milieu de la scène, entourée d’une foule de
         jolis enfants. Son sourire est charmant ; sa pose est enchanteresse. À
         la vue de tous ces petits corps si ronds et si blancs, on croirait que
         l’essaim des Amours, oui, des Amours, a déserté les cieux, ou vient de
         s’envoler du sein des mers. Petites ailes, petites flèches, tout en eux
         prête à l’illusion. Des torches brillaient dans leurs mains, comme s’ils
         eussent éclairé leur souveraine, prête à se rendre à quelque banquet
         nuptial.   Sur leurs pas se pressent des groupes de jeunes vierges ; ce
         sont  les  Grâces  riantes,  ce  sont  les  séduisantes  Heures.  Toutes
         répandent à pleines mains les fleurs et les guirlandes, et, entourant de
         leurs rondes la reine du plaisir, lui font hommage de ces prémices du
         printemps.  En  ce  moment,  les  flûtes  à  plusieurs  trous  soupirent
         tendrement sur le mode lydien, et portent dans l’âme une noble ivresse.
         À ces voluptueux accents, la voluptueuse déesse elle-mê me se met à
         danser.  Ses  pas,  d’abord  timides  et  comme  indécis,  s’animent  par
         degrés, et s’accordent, avec les ondulations de sa taille flexible et de
         suaves  mouvements  de  sa  tête,  à  marquer  les  temps  de  la  douce
         mélodie.  Ses  yeux  ont  leur  rôle  aussi ;  et,  tantôt  à  demi  fermés,
         semblent noyés dans la langueur, tantôt lancent des jets de flamme.
         Toute sa pantomime alors est dans ses yeux.   Arrivée devant son juge,
         elle exprime par les mouvements de ses bras que, si elle obtient le pas
         sur ses divines rivales, elle lui donnera pour femme une beauté qui lui
         ressemble. Le jeune Phrygien n’hésite plus ; et la pomme d’or, prix de
         la victoire, passe de sa main dans celle de Vénus.



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