Page 181 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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moins, de réclamer le salaire d’un double service ; et, la violence du
         mal augmentant, il rendit les derniers soupirs.
            L’agonie  du  jeune  homme  n’avait  pas  été  plus  longue.  Il  avait
         succombé  sous  les  mêmes  symptômes,  au  milieu  des  hypocrites
         doléances de sa femme. Son enterrement terminé, au bout du temps
         consacré pour les devoirs funéraires, la veuve du médecin se présente,
         et demande le prix de deux morts.   L’odieuse créature toujours la
         même,  toujours  sans  foi,  quoiqu’elle  cherche  à  en  conserver  le
         simulacre,  met  tout  son  art  dans  sa  réponse.  Elle  prodigue  les
         promesses,  et  s’engage  formellement  à  payer  sans  délai  le  prix
         convenu, si l’on consent à lui céder encore une légère dose de la même
         composition,  afin  de  finir,  dit-elle,  ce  qu’elle  a  commencé.      Pour
         couper court, la femme du médecin donne dans le piège sans se faire
         presser, et, voulant faire sa cour à la grande dame, elle retourne vite à
         son logis, et lui rapporte la boîte même qui contenait tout le poison. Le
         monstre féminin, désormais en fonds pour le crime, va porter sur tout
         ce qui l’entoure ses mains homicides.
            Elle avait, du mari qu’elle venait d’empoisonner, une fille en bas
         âge à qui la succession du père revenait de plein droit ; et c’est ce qui
         désespérait sa mère. Elle en veut au patrimoine de sa fille ; elle en veut
         à sa vie.   Une fois certaine que la loi permet à la mère dénaturée de
         recueillir un sanglant héritage, elle devient pour sa fille ce qu’elle avait
         été pour son époux. Dans un dîner où elle avait invité la femme du
         médecin, elle les empoisonne à la fois toutes deux.   Mais le terrible
         breuvage, saisissant aux entrailles la pauvre enfant, anéantit d’un coup
         sa frêle existence, tandis que la femme du médecin eut le temps de
         sentir le liquide meurtrier gagner de proche en proche, et promener ses
         ravages autour de ses poumons. Elle soupçonna l’affreuse vérité ; et sa
         respiration,  de  plus  en  plus  oppressée,  dissipant  bientôt  tous  ses
         doutes, elle court à la maison du gouverneur, implore à grands cris sa
         justice. Le peuple déjà s’ameutant autour de cette femme, qui promet
         d’horribles révélations, l’autorité fait ouvrir les portes, et lui donne
         audience sans délai.   Mais à peine eut-elle déroulé la révoltante série
         des forfaits de l’atroce mégère, que tout à coup sa raison se trouble, le
         vertige la saisit, ses lèvres se serrent, ses dents se froissent, et font
         entendre  un  grincement  prolongé.  Ce  n’est  plus  qu’un  cadavre  qui



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