Page 176 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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honneurs publics. Il en avait successivement parcouru les degrés, et se
         voyait appelé à la magistrature quinquennale. Pour célébrer avec la
         pompe convenable son avènement aux faisceaux, il avait promis de
         donner un spectacle de gladiateurs qui durerait trois jours, et comptait
         ne pas borner là sa munificence.   Jaloux de la popularité qui s’acquiert
         par cette voie, il avait fait le voyage de Thessalie pour se procurer ce
         qu’il y a de mieux en fait de bêtes et de gladiateurs. Ses préparatifs
         terminés, ses acquisitions complétées, il se disposait au retour.   On le
         vit  alors  faire  fi  de  ses  splendides  chariots,  de  ses  magnifiques
         équipages, et les reléguer à la queue de son cortège, où ils suivaient à
         la  file  et  à  vide,  découverts  ou  empaquetés.  Il  dédaigna  même  ses
         chevaux  thessaliens  et  ses  cavales  gauloises,  nobles  races  dont  la
         réputation se paye si cher.   Il ne voulut monter que moi, qui cheminais
         paré  d’un  harnais  d’or,  d’une  selle  éblouissante,  d’une  housse  de
         pourpre, avec un mors d’argent, des sangles chamarrées de broderies,
         et des clochettes du timbre le plus sonore. Mon cavalier me choyait
         tendrement, m’adressait les plus doux propos, et disait hautement que
         le suprême bonheur était d’avoir un compagnon de voyage et de table
         tel que moi.
            À  notre  arrivée  à  Corinthe,  après  avoir  voyagé  partie  par  terre,
         partie  par  mer,  une  population  considérable  se  porta  au-devant  de
         nous, moins par honneur pour Thiasus, à ce qu’il me parut, que par la
         curiosité que j’inspirais ; car une immense réputation m’avait précédé
         dans cette contrée, si bien que je devins de bon rapport pour l’affranchi
         préposé à ma garde.   Quand il voyait qu’on faisait foule pour jouir du
         spectacle de mes gentillesses, le gaillard fermait la porte et n’admettait
         les amateurs qu’un à un, moyennant une rétribution assez forte ; ce qui
         lui valut de bonnes petites recettes quotidiennes.
              Parmi les curieux admis à me voir pour leur argent, se trouvait une
         dame de haut parage et de grande fortune qui montra un goût prononcé
         pour mes gracieuses  prouesses. À force d’y retourner, l’admiration
         chez elle devint passion ; et, sans plus chercher à combattre une ardeur
         monstrueuse, cette nouvelle Pasiphaé ne soupire plus qu’après mes
         embrassements.   Elle offrit à mon gardien, pour une de mes nuits, un
         prix considérable ; et le drôle trouva bon, pourvu qu’il en eût le profit,
         que la dame s’en passât l’envie.



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