Page 171 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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mes gens chercher le sac dans mon laboratoire. Je mets la pièce sous
vos yeux : que le témoin vienne reconnaître son cachet. C’est donc
lui qui a acheté le poison. Comment cette circonstance est-elle mise
sur le compte d’un autre ?
Le scélérat, à ces mots, se mit à trembler de tous ses membres. On
vit la couleur vitale s’effacer de ses traits, et sa face se couvrir de la
pâleur d’un spectre. Une sueur froide ruisselait sur tout son corps. Il
ne savait sur quel pied se tenir, et se grattait la tête tantôt d’un côté,
tantôt d’un autre, marmottant je ne sais quoi entre ses dents, si bien
que sa culpabilité parut manifeste à tout le monde. Mais voilà mon
fourbe qui, reprenant par degré son aplomb, se met à nier tout
effrontément, et donne au médecin démentis sur démentis. Celui-ci,
attaqué dans son caractère comme magistrat, et dans son honneur
comme particulier, s’évertue à confondre le traître. À la fin, sur l’ordre
des magistrats, les officiers de justice s’emparent des mains de
l’esclave, et y trouvant un anneau de fer, le comparent avec
l’empreinte du sac. Cette vérification leva tous les doutes. On ne tarda
pas, suivant l’usage grec, à faire jouer le chevalet et la roue ; mais le
coquin endurci montra dans la torture une constance incroyable, et
résista même a l’épreuve du feu.
Par Hercule, s’écrie alors le médecin, je ne souffrirai pas que, contre
toute équité, vous ordonniez le supplice de cet innocent jeune homme,
ni que ce misérable, parce qu’il peut se jouer des moyens de votre
justice, échappe au châtiment qui lui est dû. Je vais établir jusqu’à
l’évidence que le coupable est devant vous. Sollicité par cet homme
abominable de lui procurer le poison le plus énergique, j’ai jugé d’un
côté le service qu’il me demandait incompatible avec le devoir de ma
profession, car la médecine est instituée pour sauver la vie et non pour
la détruire ; et, de l’autre, que si je le refusais, je laisserais
imprudemment la voie ouverte au crime ; car on pouvait se pourvoir
ailleurs de poison, employer le poignard ou toute espèce d’arme pour
consommer l’acte médité. J’ai donc livré une potion, mais une potion
qui n’est que somnifère. C’est de la mandragore, substance bien
connue pour sa vertu narcotique, et qui provoque un sommeil de tous
points semblable à la mort. Il n’y a pas de quoi s’étonner au surplus
en voyant un désespéré comme celui-là, qui sait quel supplice lui
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