Page 172 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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revient d’après les lois de nos ancêtres, soutenir aisément l’épreuve
comparativement légère de la torture. Encore une fois, si l’enfant n’a
pris que la potion préparée de mes mains, il vit, son sommeil n’est
qu’un repos. Une fois sorti de cette léthargie, il reverra la lumière du
jour. S’il a péri, s’il est vraiment et définitivement mort, la cause en
est ailleurs. Libre à vous de la chercher.
Ainsi parla le vieillard. Il entraîna l’assemblée. On se précipite
aussitôt vers le sépulcre où gisait le corps de l’enfant. Sénateurs, gens
de condition et bas peuple, tous s’y portent en foule, avec le plus avide
empressement. Le père, de ses propres mains, découvre le cercueil.
Précisément la léthargie arrivait à son terme. Il voit se lever son fils,
rendu à l’existence. Il le serre étroitement dans ses bras, et, muet par
l’excès de la joie, le montre à tout le peuple. Aussitôt l’enfant, encore
enveloppé de son linceul, est transporté au tribunal. Alors se révèle
le noir complot de l’esclave et de l’épouse, plus perverse encore. La
vérité paraît dans tout son jour. On condamne la marâtre au
bannissement perpétuel. Son complice est mis en croix. Et, du
consentement de tous, l’honnête médecin garda les pièces d’or pour
prix du spécifique administré si à propos. Tel fut le dénouement
vraiment providentiel de ce drame intéressant et mémorable. Heureuse
péripétie pour le bon vieillard, qui, au moment de se voir frappé dans
sa postérité tout entière, se retrouve tout à coup père de deux enfants.
Quant à moi, voici de quelle façon la fortune se plut à me ballotter
dans ce temps-là. Ce même soldat qui avait su faire emplette de mon
individu sans avoir affaire à vendeur quelconque, et entrer en
possession sans bourse délier, se trouva forcé, par l’ordre de son tribun,
de partir pour Rome, porteur d’un message pour le plus grand des
princes. Il me vendit onze deniers à deux frères, esclaves tous deux
chez un riche du voisinage. L’un était pâtissier au petit four, grand
faiseur de tartelettes au miel et autres friandises. L’autre était cuisinier
entendant à merveille les combinaisons d’assaisonnement, sauces et
cuissons. Ils logeaient ensemble et vivaient en commun. Leur maître
était voyageur par goût, et ils m’avaient acheté pour porter l’attirail de
cuisine qui devait le suivre. Me voilà donc tiers dans ce ménage
fraternel. Jamais je n’eus moins à me plaindre de la fortune. Chaque
soir, après le souper, qui était un délicat et très magnifique ordinaire,
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