Page 169 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 169
publique : que le public se fasse justice.
Alarmés cependant pour leur propre sûreté, et craignant que cette
fermentation, d’abord peu profonde, ne dégénère bientôt en violation
de l’ordre public et de toute autorité, les magistrats emploient les
remontrances auprès des décurions, les voies coercitives envers le
peuple. Par respect pour les formes de justice traditionnelles, il faut un
débat contradictoire, une sentence rendue judiciairement. Iraient-ils,
au mépris de toute civilisation, ou pour imiter les violences du
despotisme, condamner un homme sans l’entendre ? Un tel scandale
serait-il, en pleine paix, donné aux siècles à venir ?
La raison prévalut. Ordre aussitôt au crieur de proclamer une
convocation du sénat dans le lieu de ses séances. Chacun arrive, et
prend la place que son rang lui assigne. À la voix du crieur,
l’accusateur s’avance ; et, alors, seulement, l’accusé est appelé et
introduit. Par application de la loi athénienne et des formes de
juridiction de l’Aréopage, le crieur signifie aux avocats qu’ils aient à
s’abstenir de tout exorde et de tout appel à la pitié. Ces détails, je les
ai recueillis dans les nombreuses causeries que j’ai entendues sur ce
procès. Du reste, l’accusation fut-elle chaudement poussée,
habilement réfutée ? je n’en sais rien. Du fond de mon écurie, je n’ai
rien entendu de l’attaque ni de la réplique ; je ne puis donc rien en
rapporter. Ce qui est positivement à ma connaissance, le voici.
Les plaidoiries terminées, le tribunal décide que l’accusateur sera
tenu de produire ses preuves, un cas de cette importance exigeant la
pleine évidence, et ne permettant pas de procéder par conjecture.
Avant tout, l’esclave, seul témoin, soi-disant, des faits articulés, sera
représenté en justice ; mais ce gibier de potence n’était pas homme à
s’émouvoir, ou de la gravité de la décision attendue, ou de l’imposant
aspect de l’assemblée, ou du cri de sa propre conscience. Il avait son
conte tout prêt, qu’il se mit à débiter imperturbablement comme
l’expression de la vérité pure. Mandé, suivant son dire, par son jeune
maître, il l’aurait trouvé dans l’exaspération d’un amour dédaigné,
aurait reçu de sa bouche l’ordre de le venger par la mort du fils des
mépris de la mère, et cela avec promesses splendides pour son
concours discret, et menaces de mort en cas de refus. Un poison tout
préparé lui aurait d’abord été remis pour le faire prendre au jeune frère,
169