Page 165 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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            Ce qu’il advint le jour suivant au jardinier mon maître, je l’ignore.
         Quant à moi, le même soldat qui s’était attiré une si verte correction
         par son incartade vint me prendre à l’écurie, et m’emmena sans que
         personne y trouvât à redire. Mon nouveau patron prit à son quartier, à
         ce  qu’il  me  parut  du  moins,  les  effets  qui  lui  appartenaient,  et  les
         chargea  sur  mon  dos.      Me  voilà  donc  cheminant,  tout  à  fait  en
         belliqueux appareil, portant un casque éclatant, un bouclier à éblouir
         les yeux au loin, une lance de dimension formidable ; arme qui n’est
         d’ordonnance  qu’en  temps  de  guerre,  mais  que  le  fanfaron,  pour
         imposer  aux  pauvres  passants,  avait  artistement  disposée,  en
         épouvantail, au point culminant de ma charge.   Après une marche
         assez facile en plaine, nous arrivâmes à une petite ville où nous prîmes
         gîte, non pas à l’auberge, mais chez un décurion. Mon maître, après
         m’avoir confié aux soins d’un domestique, n’eut rien de plus pressé
         que de se rendre près de son chef, qui commandait un corps de mille
         hommes.
            Je me rappelle que, peu de jours après, il se commit dans ce lieu
         même un acte de scélératesse inouïe et révoltante. Dans l’intérêt de
         mes lecteurs, j’en consigne ici le récit.
            Le  maître  du  logis  avait  un  fils  parfaitement  élevé,  modèle
         conséquemment de piété filiale et de conduite, tel enfin que chacun eût
         voulu être son père, ou avoir un fils qui lui ressemblât.   Il avait depuis
         longtemps  perdu  sa  mère ;  son  père  s’était  remarié,  et  avait  de  sa
         seconde femme un autre fils qui venait d’atteindre sa douzième année.
         Il arriva que la belle-mère, qui avait la haute main dans la maison de
         son mari (ce qu’elle devait moins à ses vertus qu’à sa beauté), soit
         entraînement des sens, soit effet d’une fatalité qui la poussait au crime,
         jeta des regards de désir sur son beau-fils.   Mon cher lecteur, ceci
         n’étant pas une anecdote, mais une belle et bonne tragédie, je vais
         quitter le brodequin et chausser le cothurne.
            La dame, tant qu’un feu naissant ne fit que couver dans son sein,
         réussit à dominer cette ardeur encore faible, et à l’empêcher d’éclater



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