Page 163 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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l’assister dans cette position critique. Il ne s’agit que de le cacher, son
âne et lui, pour deux ou trois jours. C’est assez pour dérouter
l’accusation et sauver sa tête. L’ami se montra vraiment ami, et ne se
fit pas prier. On me fait plier les jambes, et l’on me hisse, à l’aide d’une
échelle, dans une pièce au-dessus. Le jardinier reste en bas dans la
boutique, et se blottit dans un panier dont on ferme le couvercle sur
lui.
Cependant mon légionnaire, ainsi que je l’appris plus tard, avait fini
par se mettre sur ses pieds. Mais en homme qui sort d’un long état
d’ivresse, moulu, chancelant, et s’appuyant sur son bâton, il avait à
grand-peine gagné la ville. Bien confus d’avoir eu le dessous, et de
s’être ainsi laissé battre, il aimait mieux dévorer son dépit que de
mettre aucun habitant dans la confidence de sa défaite ; mais ayant
rencontré quelques-uns de ses camarades, il leur conta son piteux cas.
On convint qu’il resterait au quartier quelque temps sans se faire voir ;
car, outre le déshonneur, il appréhendait, en raison de la perte de son
épée, les peines sacramentelles de la loi militaire. Les autres, dans
l’intervalle, devaient, munis de notre signalement, s’occuper
activement de nous découvrir et de le venger. Un traître de voisin
nous vendit, et indiqua notre cachette. La justice est appelée : fausse
déposition des soldats, qui prétendent avoir perdu en route un petit
vase d’argent appartenant à leur général. L’objet aurait été trouvé par
un jardinier qui refusait de le rendre, et qui s’était allé cacher dans la
maison d’un ami. Les magistrats s’étant fait décliner et le nom du
général et le prix de l’objet perdu, arrivent à la porte de la maison de
refuge, et là somment notre hôte à haute voix de livrer ceux qu’il
recélait, sous peine d’encourir personnellement une action capitale.
Le maître du logis ne sourcilla pas. Occupé uniquement de sauver
l’ami qui s’est confié à lui, il se renferme dans une dénégation absolue,
et même il soutient qu’il n’a pas vu le jardinier depuis plusieurs jours.
Les soldats, de leur côté, de jurer par le bon génie du prince que le
voleur est bien là, et non ailleurs. Les magistrats ordonnent la
perquisition. Des licteurs et autres officiers publics y procèdent,
fouillent la maison dans tous les coins. Homme ni baudet n’est apparu,
suivant leur dire.
L’altercation s’échauffe. Les soldats soutiennent que l’homme et
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