Page 166 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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au dehors ; mais quand le cœur tout entier fut en proie à l’incendie,
dont le dieu lui-même attisait la violence désordonnée, il n’y eut plus
à résister. Elle simule alors une maladie, et feint que le corps souffre,
pour cacher la plaie de l’âme. Amoureux et malades (c’est un fait
bien connu) offrent dans leur personne mêmes symptômes d’altération
et de langueur. Pâleur des traits, abattement des yeux, lassitude des
membres, privation de sommeil respiration pénible et de plus en plus
laborieuse à mesure que l’état se prolonge. Ici, le mal, par ses
fluctuations, accusait, à n’en pas douter, la marche de la fièvre ;
n’eussent été les pleurs que l’on voyait couler. O ignorance des
médecins ! que signifient ce pouls agité, cette chaleur déréglée, cette
respiration intermittente, ce corps qui cherche vainement une position
qui lui convienne ? Bons dieux ! qu’il est facile de le dire, non pas
peut-être pour un expert en médecine, mais pour le premier venu, tant
soit peu familier avec les phénomènes de l’amour, en voyant une
personne qui brûle dans un corps sans chaleur !
Enfin la violence de la passion prend le dessus. La dame sort de
cette taciturnité prolongée, et ordonne qu’on fasse venir son beau-fils.
Nom fatal, et qu’elle voudrait ôter à celui qui le porte ! elle en aurait
moins à rougir. Le jeune homme ne tarde pas à se rendre aux ordres
d’une belle-mère, et d’une belle-mère malade. Il vient, le front
prématurément ridé par le chagrin, s’acquitter d’un double devoir
envers la femme de son père et la mère de son frère. Celle-ci, prête à
rompre un silence qui la tue, se perd dans un océan d’incertitudes. Il
ne lui vient pas un mot à dire qu’elle ne rejette aussitôt. En elle un reste
de pudeur combat encore. Au moment de commencer, la parole expire
sur ses lèvres. Le jeune homme, qui ne se doute de rien, lui parle le
premier, et lui demande timidement la cause de l’état de malaise où il
la voit. La dame cède alors à la fatale tentation du tête-à-tête. Rien ne
l’arrête plus ; elle verse un torrent de larmes, se couvre le visage d’un
pan de sa robe, et, d’une voix tremblante, adresse au jeune homme ce
peu de mots : Le principe, la cause de mon mal, et en même temps le
médecin qui peut le guérir, me sauver, c’est vous. C’est dans vos yeux
que les miens ont pris la flamme terrible qui, descendue jusqu’à mon
cœur, le brûle dans ses derniers replis. Ayez pitié de votre victime.
Qu’un scrupule filial ne vous arrête pas ; car autrement ma mort est
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