Page 178 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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baisers, les tendres soupirs, les agaçantes œillades, n’en allaient pas
moins leur train : Bref, je le tiens, s’écrie la dame, je le tiens, mon
tourtereau, mon pigeon chéri ! Et, m’embrassant étroitement, elle me
fit bien voir que j’avais raisonné à faux et craint à tort ; que de mon
fait il n’y avait rien de trop, rien de trop pour lui plaire ; car, chaque
fois que, par ménagement, je tentais un mouvement de retraite,
l’ennemi se portait en avant d’un effort désespéré, me saisissait aux
reins, se collait à moi par étreintes convulsives, au point que j’en vins
à douter si je ne péchais pas plutôt par le trop peu. Et, cette fois, je
trouvai tout simple le goût de Pasiphaé pour son mugissant adorateur.
La nuit s’étant écoulée dans cette laborieuse agitation, la dame
disparut à temps pour prévenir l’indiscrète lumière du jour, mais non
sans avoir conclu marché pour une répétition.
Mon gardien lui en donna l’agrément tant qu’elle voulut, sans se
faire tirer l’oreille ; car, indépendamment du grand profit qu’il tirait de
ses complaisances, il ménageait par ce moyen à son maître un
divertissement d’un nouveau goût. Il ne tarda pas, en effet, à le mettre
au fait de mes exploits érotiques. Le patron paya magnifiquement la
confidence, et se promit de me faire figurer sous cet aspect dans ses
jeux. Or, comme à cause du rang, il ne fallait pas songer pour le
second rôle à ma noble conquête, et qu’un autre sujet pour le remplir
était introuvable à quelque prix que ce fût, on se procura une
malheureuse condamnée aux bêtes par sentence du gouverneur. Telle
fut la personne destinée à entrer en lice avec moi devant toute la ville.
Voici en substance ce que j’ai su de son histoire :
Elle avait été mariée à un homme dont le père, partant pour un
voyage lointain, et laissant enceinte sa femme, mère de celui-ci, lui
avait enjoint de faire périr son fruit, au cas où elle n’accoucherait pas
d’un garçon. Ce fut une fille qui naquit en l’absence du père. Mais le
sentiment maternel prévalut sur l’obéissance due au mari. L’enfant fut
confié à des voisines, qui se chargèrent de l’élever. L’époux de retour,
sa femme lui dit qu’elle a mis au monde une fille, et qu’elle lui a ôté
la vie. Mais vint l’âge nubile. Cette fille conservée, comment, à l’insu
de son père, la doter suivant sa naissance ? La mère ne voit d’autre
moyen que de s’ouvrir à son fils. Ce dernier, d’ailleurs, étant dans la
fougue de l’âge, elle appréhendait singulièrement les effets d’une
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