Page 182 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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tombe aux pieds du gouverneur. En présence de tant d’horreurs, celui-
ci, homme d’expérience, se décide à frapper un grand coup. Les
femmes de la coupable sont mandées sur l’heure, et la torture leur
arrache la vérité. La maîtresse fut condamnée aux bêtes, non que l’on
jugeât le supplice proportionné à ses crimes, mais parce qu’on
n’imagina rien au delà.
Telle était la femme avec laquelle j’allais publiquement me
conjoindre. Je voyais avec une mortelle angoisse approcher le jour de
la cérémonie. Cent fois, dans mon horreur profonde, je songeai à me
donner la mort, plutôt que de me laisser souiller par le contact de cette
odieuse créature, et subir l’infamie d’une telle exposition. Mais, privé
de la main et des doigts de l’homme, comment saisir une épée avec ce
sabot court et arrondi ? Au milieu de mes maux cependant
j’entrevoyais un espoir ; espoir bien faible, mais auquel je m’efforçais
de rattacher le terme de mes misères. Le printemps venait de renaître.
La campagne allait s’émailler, les prés se revêtir de la pourpre des
fleurs. Bientôt, perçant le couvert du buisson, les roses allaient montrer
leurs corolles embaumées, et peut-être me rendre à ma forme de
Lucius. Arrive enfin le jour de l’ouverture. On me conduit en pompe
à l’amphithéâtre, toute la population me faisant cortège. On prélude au
spectacle par des divertissements chorégraphiques. Moi, placé hors de
l’enceinte, je me régalais, en attendant, du tendre gazon qui en tapissait
les abords. La porte était ouverte, et mon œil curieux jouissait, par
échappées, d’une ravissante perspective. Des groupes de jeunes
garçons et de jeunes filles rivalisant de beauté, de parure et d’élégance,
exécutaient la pyrrhique des Grecs, et décrivaient mille évolutions,
dont l’art avait combiné les dispositions d’avance. Tour à tour on
voyait la bande joyeuse tourbillonner en cercle comme la roue d’un
char rapide, et tantôt se déployer, les mains entrelacées, pour parcourir
obliquement la scène ; tantôt se serrer en masse compacte à quatre
fronts égaux, et tantôt se rompre brusquement pour se reformer en
phalanges opposées. Quand ils eurent successivement exécuté toute
cette variété de poses et de figures, le son de la trompette mit fin au
ballet. Aussitôt le rideau se baisse, les tentures se replient, le grand
spectacle va commencer.
On voyait une montagne en bois d’une structure hardie,
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