Page 179 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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rencontre et d’une passion entre ces deux jeunes gens, inconnus l’un à
         l’autre.   Le jeune homme, excellent fils, entrant parfaitement dans les
         intentions  de  sa  mère,  eut  pour  sa  sœur  les  plus  tendres  soins.
         Dépositaire  religieux  de  ce  secret  de  famille,  et  sans  prendre
         ostensiblement  à  la  jeune  personne  plus  qu’un  vulgaire  intérêt
         d’humanité,  il  reconnut  si  bien  les  droits  du  sang,  que  l’orpheline,
         abandonnée  chez  des  voisins,  fut  placée  sous  la  protection  du  toit
         fraternel, et qu’il la maria bientôt à un ami intime et tendrement chéri,
         en lui donnant sur sa fortune personnelle une dot considérable.
            Mais cette noble conduite, ces dispositions aussi sages que pieuses,
         la fortune se plut à en détruire les effets, en rendant la maison du frère
         le foyer d’une affreuse jalousie.   La femme de ce dernier, la même
         que ses crimes firent depuis condamner aux bêtes, croit voir dans la
         jeune sœur l’usurpatrice de sa place et de ses droits. Du soupçon elle
         passe à la haine, et bientôt se livre aux plus atroces machinations pour
         perdre sa rivale. Voici quel odieux stratagème elle imagine.   Elle part
         pour la campagne, munie de l’anneau de son mari, qu’elle a su lui
         soustraire ; et, de là, dépêche à sa belle-sœur un domestique à elle
         dévoué,  et  conséquemment  capable  de  tout,  pour  inviter  la  jeune
         femme, comme de la part de son frère, à l’aller trouver à sa maison des
         champs, en y joignant la recommandation de venir seule, et de tarder
         le moins possible.   Pour prévenir toute hésitation de sa part, elle confie
         à l’exprès l’anneau dérobé à son mari, et qu’il suffisait de montrer pour
         donner foi au message. La sœur, seule confidente du droit qu’elle a de
         porter ce nom, s’empresse de déférer au désir de son frère, que lui
         confirme la vue du cachet.   Elle va donc seule au rendez-vous, horrible
         guet-apens où l’attendait son exécrable belle-sœur. Cette furie aussitôt
         la  fait  dépouiller  nue,  et  frapper  à  outrance  de  coups  de  fouet.
         L’infortunée a beau protester contre l’erreur dont elle est victime, elle
         a  beau  invoquer  le  nom  d’un  frère  pour  repousser  l’imputation  de
         concubine ; son ennemie traite l’aveu d’imposture, et, s’emparant d’un
         tison ardent, fait expirer la pauvre créature du plus révoltant supplice
         que la jalousie ait jamais inventé.
            À cette horrible nouvelle, le frère et le mari se hâtent d’accourir.
         Après avoir payé à la jeune femme le tribut de leur douleur, ils lui
         rendent les devoirs de la sépulture ; mais le frère ne put soutenir le



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