Page 198 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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me présenter à l’initiation. Ma vocation n’était pas douteuse ; mais
un scrupule m’arrêtait. J’avais sérieusement réfléchi aux exigences du
saint ministère. Le vœu de chasteté n’est pas d’une observation facile.
Quelle attention ne faut-il pas sur soi-même, au milieu des tentations
dont la vie est entourée ! Voilà ce que je considérais, et, malgré ma
ferveur, j’ajournais indéfiniment l’accomplissement de mon vœu.
Une nuit je crus voir le grand prêtre venir à moi, un pan de sa robe
relevé et rempli. Comme je lui demandai ce qu’il portait là, il me
répondit que c’était un envoi de Thessalie à mon adresse ; et, de plus,
qu’un mien serviteur, nommé Candide, venait d’arriver. À mon réveil,
je repassais le songe dans mon esprit, fort en peine d’en deviner le
sens ; car j’étais bien sûr de n’avoir jamais eu personne du nom de
Candide à mon service. En tout cas, je ne pouvais me promettre que
profit d’un rêve où l’on m’apportait quelque chose. Je guettais donc
avec impatience, et dans l’attente d’un bonheur ignoré, le moment où
s’ouvriraient les portes du temple. Enfin, les blancs rideaux sont tirés
de droite et de gauche ; la vénérable déesse se montre, et nous nous
prosternons. Le grand prêtre va d’autel en autel accomplir les rites, et
prononce les solennelles oraisons. Le service s’accomplit par une
libation qu’il fait, avec le vase sacré, d’une eau puisée à la source du
sanctuaire. Les religieux alors saluent des chants accoutumés la
première heure du jour et le retour de la lumière. En ce moment,
arrivent de mon pays les serviteurs que j’y avais laissés, lorsque la
fatale méprise de Photis m’avait mis dans ce cruel embarras ; j’eus
bientôt reconnu mes gens, aussi bien que mon cheval, qu’ils me
ramenaient. La bête avait passé dans plusieurs mains ; mais on avait
pu la réclamer, grâce à certaine marque qu’elle avait sur le dos. Et
c’est ici que j’admirai avec quelle précision se vérifiait mon rêve,
comme l’envoi promis se trouvait réalisé, et surtout comme l’annonce
d’un serviteur, nommé Candide, concordait avec le retour de mon
cheval, dont, en effet, le poil était blanc (candidus).
Cette circonstance ne pouvait que stimuler mon zèle. Je redoublai
d’activité dans mes pieux exercices. La faveur récente était le gage des
bienfaits à venir. Je sentais de jour en jour s’augmenter mon désir
d’être revêtu du caractère sacré. Sans cesse j’assiégeais le grand prêtre
de mes prières, pour obtenir d’être enfin initié aux mystères de la nuit
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