Page 203 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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devenu pour moi un second père. Je le couvris de mes baisers, et le
         suppliai d’excuser mon impuissance à reconnaître son incomparable
         bonté.
            Ce ne fut qu’après m’être longuement étendu sur ma gratitude que
         je me séparai de lui. Je m’empressai alors de regagner en droite ligne
         le foyer paternel après une si longue absence. Mais je ne m’y arrêtai
         que  peu  de  jours.  Une  inspiration  de  la  déesse  me  fit  encore  plier
         bagage et embarquer pour Rome.   Un vent favorable me procura une
         heureuse  et  très  prompte  traversée  jusqu’à  Ostie.  Là,  je  montai  en
         chariot, et roulai rapidement vers la cité sacro-sainte, où j’arrivai la
         veille des ides de décembre, dans la soirée.   De ce moment, mon
         occupation principale fut d’offrir chaque jour des supplications à la
         reine Isis. Elle est en grande dévotion à Rome, où on l’invoque sous le
         nom de déesse champêtre, à cause du site où son temple est élevé. Je
         devins le plus zélé de ses visiteurs, nouveau venu dans le sanctuaire,
         vieil  initié  dans  la  religion.      Le  soleil  avait  parcouru  le  cercle  du
         zodiaque,  et  accompli  sa  révolution  annuelle,  quand  ma  divine
         protectrice vint de nouveau m’interpeller durant mon sommeil, parlant
         d’une nouvelle initiation à recevoir, d’épreuves nouvelles à subir. Que
         signifiait cet avis ? quel en était l’esprit et la portée ? car mon initiation
         me semblait depuis longtemps complète.
            J’interrogeais sans fruit mon bon sens. Enfin je soumis le cas aux
         lumières  de  nos  prêtres.  Alors  j’appris  de  quoi  me  surprendre
         étrangement ;      à  savoir,  que  la  consécration  que  j’avais  reçue  ne
         concernait que les mystères de la grande déesse, et qu’il me restait à
         être  éclairé  de  la  lumière  du  père  tout-puissant  des  cieux,  de
         l’invincible Osiris ;   que, bien qu’il y eût connexité entre ces deux
         puissances divines, et même unité d’essence et de culte, la différence
         était grande entre les formes d’initiation respectives ; qu’enfin il fallait
         me vouer aussi au culte du grand dieu ; que c’était là le sens de la
         communication divine.   Cette interprétation me fut bientôt confirmée ;
         car, la nuit suivante, je vis en songe un des prêtres en robe de lin,
         portant des thyrses, des feuilles de lierre, et des choses qu’il ne m’est
         pas permis de dire, et qu’il plaça au-dessus de mes dieux lares. Il vint
         ensuite occuper ma propre chaise, et m’intima l’ordre de préparer un
         grand festin religieux.   Une particularité de sa personne pouvait servir



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