Page 6 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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tutelle de tes enfants par acte de l’autorité provinciale. Ta femme, après
t’avoir rendu les derniers devoirs, après s’être consumée longtemps
dans les larmes, au point qu’à force de pleurer ses yeux ont failli perdre
la lumière ; ta femme, dis-je, cède enfin aux instances de ses parents ;
ta maison va voir, au lugubre appareil du deuil, succéder la fête d’un
nouvel hymen. Et toi, je te retrouve ici (j’en rougis moi-même) sous
l’apparence d’un spectre plutôt que d’un habitant de ce monde.
Aristomène, me dit-il, en es-tu donc à savoir ce que c’est que la
fortune, et ses caprices inexplicables, et ses hauts et bas si brusques, si
imprévus ? En disant ces mots, et pour cacher la rougeur de son front,
il ramenait sur sa face un pan de ses haillons rapetassés, laissant à nu
le reste du corps, de la ceinture en bas. Je ne pus tenir à ce spectacle
de misère. Je lui tendis la main, et m’efforçais de le faire lever ; mais
il s’obstinait à rester assis et à se cacher le visage.
Non, disait-il, laisse la fortune jouir jusqu’au bout de son triomphe.
Enfin cependant je le décide à me suivre ; et, dépouillant ma robe de
dessus, je me hâte de l’en revêtir, ou plutôt d’en voiler sa nudité. Je le
mets ensuite au bain. Onctions, frictions, j’administre tout moi-même,
et je parviens, non sans peine, à faire disparaître l’énorme couche de
crasse dont il était comme enduit. Cette toilette achevée, tout excédé
que j’étais de fatigue, je le mène à mon auberge, soutenant de mon
mieux ses pas chancelants. Là, je le fais entrer dans un lit bien chaud ;
et bon dîner, bon vin, douces paroles, je mets tout en œuvre pour le
réconforter. Insensiblement, mon homme se laisse aller à causer et à
rire. L’entretient s’anime, et devient même assez bruyant ; mais tout à
coup un soupir déchirant sort de sa poitrine, et se frappant
impitoyablement le front : Misérable ! s’écria-t-il, c’est pourtant ma
maudite curiosité pour un spectacle de gladiateurs, dont on faisait
grand bruit, qui m’a réduit à cette situation déplorable. J’étais allé,
comme tu sais, en Macédoine pour mon commerce : mes affaires m’y
ont retenu dix mois, après quoi je revenais la bourse bien garnie. Un
peu au-dessus de Larisse, je pris la traverse pour arriver plus vite au
spectacle en question ; mais voilà que, dans une gorge profonde et
écartée, plusieurs bandits, de vrais colosses, se jettent sur moi, et je ne
me tire de leurs mains qu’en y laissant tout ce que je possédais. Dans
cette extrémité, je vins ici loger chez une hôtesse, nommée Méroé, déjà
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