Page 11 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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cruauté en auraient laissé vivre le témoin, tout exprès pour la révéler !
Ah ! vous avez échappé cette fois à la mort ! eh bien ! ce sera la
dernière. Voilà ce qui passait et repassait dans ma tête. Et cependant
la nuit tirait à sa fin. Dans cette perplexité, je jugeai n’avoir rien de
mieux à faire que de partir furtivement avant le jour, et de gagner au
pied aussi vite qu’on peut le faire à tâtons. Je prends donc mon léger
bagage, et, tirant les verrous, j’introduisis la clef dans la serrure. Mais
vingt fois je tourne et retourne en tous sens, avant que cette honnête,
cette excellente fermeture qui, pendant la nuit, avait si bien su s’ouvrir
d’elle-même, voulût enfin me livrer passage.
Holà ! quelqu’un, m’écriai-je ; allons, qu’on m’ouvre, je veux partir
avant qu’il soit jour. Le portier, qui était couché à terre, en travers de
l’entrée, se réveille à moitié. Eh ! vous ne savez donc pas, dit-il, que
les routes sont infestées de brigands, vous qui parlez de partir à cette
heure de nuit ? Si quelque crime vous pèse sur la conscience, si vous
avez assez de votre vie, nous n’en avons pas, nous, de rechange à
mettre en péril pour l’amour de vous. Mais, lui dis-je, dans un instant
le jour va paraître. Et d’ailleurs je suis si pauvre ! qu’est-ce que des
voleurs pourraient me prendre ? Ne sais-tu pas, imbécile, que dix
contre un, fussent-ils autant d’athlètes, ne peuvent dépouiller un
homme tout nu ? Le portier n’avait fait que se tourner de l’autre côté,
et déjà s’était à moitié rendormi. Bon ! dit-il ; et sais-je moi si vous
n’avez pas expédié votre camarade, celui que vous amenâtes hier
coucher avec vous ; et si vous ne cherchez pas à décamper de nuit pour
plus de sûreté ? À ces mots (j’en frissonne encore) je crus voir la terre
se fendre, me montrant l’abîme du Tartare et la gueule de Cerbère déjà
béante pour me saisir. Je vis bien alors que ce n’était pas par bonté
d’âme que Méroé avait épargné mon cou ; l’aimable créature me
réservait pour la croix.
Rentré dans ma chambre, je cherchai à la hâte quelque moyen d’en
finir avec la vie. Mais je n’avais là sous main que mon grabat pour
instrument de suicide. Grabat, lui dis-je, mon cher grabat, compagnon
de mes infortunes, témoin avec moi des scènes de cette nuit, seul
témoin, hélas ! que je puisse citer de mon innocence devant mes juges,
prête-moi ton secours pour descendre plus vite aux enfers. Tout en
parlant, je démonte la sangle du fond, je la façonne en manière de hart,
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