Page 10 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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À ces mots je sens une sueur froide circuler sur tout mon corps, un
tremblement convulsif me remue jusqu’aux entrailles, et imprime de
telles secousses à tous mes membres, que le lit s’agite et semble danser
sur mon dos.
La douce Panthia dit alors : Que ne commençons-nous, ma sœur,
par mettre en pièces celui-ci à la façon des bacchantes ? Ou bien, nous
pourrons encore le garrotter bien serré, et le châtrer à notre aise. Non,
dit Méroé (car je ne pus méconnaître l’héroïne de l’histoire de
Socrate), laissons-le vivre, pour qu’il jette un peu de terre sur le corps
de cet autre misérable. Alors, faisant pencher sur l’épaule gauche la
tête de Socrate, elle lui plonge dans le cou de l’autre côté l’épée qu’elle
tenait, jusqu’à la garde. À l’instant où le sang jaillit, elle le reçut avec
précaution dans une petite outre et sans en répandre une seule goutte.
Voilà ce que j’ai vu de mes propres yeux. Ce n’est pas tout. Pour ne
rien omettre, sans doute, des rites d’un sacrifice, la tendre Méroé
enfonce sa main dans la plaie, et, fouillant jusqu’aux viscères de la
victime, en retire le cœur de mon malheureux camarade. Le coup lui
avait tranché la gorge, et sa voix, ou plutôt un râle inarticulé, se faisait
jour, avec l’air des poumons, au travers de l’horrible blessure. Panthia
en boucha l’orifice avec l’éponge : Éponge, ma mie, disait-elle, enfant
de la mer, garde-toi de l’eau douce. Cela fait, elle relève mon grabat,
et, jambe de çà, jambe de là, les voilà qui s’accroupissent sur moi l’une
après l’autre, et, lâchant leurs écluses, m’arrosent à l’envi d’une eau
qui n’était pas de senteur.
À peine ont-elles repassé le seuil, que les battants de la porte se
rejoignent, les gonds se replacent, les barres se rapprochent, les
verrous se referment. Quant à moi, j’étais gisant à terre, tout haletant,
tout trempé de cette dégoûtante aspersion, nu et transi comme l’enfant
sort du ventre de sa mère ; ou plutôt j’étais à demi-mort, ne me
survivant, en quelque sorte, à moi-même, que pour me sentir dévolu
au gibet. Que deviendrai-je, lorsque demain on va voir ce pauvre
garçon égorgé ? Quand je dirais ce qui en est, personne voudra-t-il me
croire ? Un gaillard comme vous ne pouvoir tenir tête à une femme ?
Vous aviez du moins la force de crier au secours. Un homme est
égorgé, là sous vos yeux, et vous ne soufflez pas ! Pourquoi n’avez-
vous pas été victime du même attentat ? Et les auteurs de cette atroce
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