Page 13 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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à lui : Vraiment les médecins ont bien raison, quand ils prétendent que
         c’est aux excès de table qu’il faut attribuer les mauvais rêves.   J’avais
         trop levé le coude hier au soir. Aussi la nuit ne m’a pas été douce, j’ai
         bien eu le plus abominable cauchemar… À cette heure encore, je crois
         me voir souillé, inondé de sang.   Non pas de sang, reprit-il d’un ton
         ricaneur, mais bien de quelque autre chose.   Au surplus, j’ai rêvé aussi,
         moi, et rêvé qu’on me coupait le cou. Une atroce douleur m’a saisi à
         la gorge ; il m’a semblé qu’on m’arrachait le cœur. Tiens, je respire
         encore à peine ; les genoux me tremblent, je chancelle en marchant. Il
         me faudrait, je crois, quelque chose à manger pour me remettre.   Ton
         déjeuner est tout prêt, lui dis-je en ôtant mon bissac de dessus mon
         épaule, et m’empressant d’étaler du pain  et du fromage devant lui.
         Asseyons-nous sous ce platane.
            De mon côté, je me dispose à prendre ma part du repas, tout en
         suivant des yeux mon convive, qui dépêchait avidement les morceaux.
         Tout à coup je le vois qui pâlit, qui jaunit, et va tomber en défaillance.
         L’altération de sa face était telle, que, mon imagination se peignant
         déjà les Furies de la veille à nos trousses, l’effroi me saisit comme
         j’avalais  la  première  bouchée,  et  le  morceau,  bien  que  des  plus
         modestes,  s’arrêta  dans  mon  gosier  sans  pouvoir  ni  descendre  ni
         remonter.   L’endroit était très fréquenté ; ce qui mit ma terreur au
         comble.      Deux  hommes  cheminent  ensemble ;  l’un  d’eux  meurt
         assassiné : le moyen de croire à l’innocence de l’autre ?   Cependant
         Socrate ayant donné raisonnablement sur la provende, se mit à crier la
         soif.   Notez qu’une bonne moitié d’un excellent fromage y avait passé.
         À deux pas du platane  coulait  une  rivière ; une belle nappe d’eau,
         paisible  à  l’œil  comme  un  lac,  brillante  comme  l’argent,  limpide
         comme le verre.   Vois cette onde, lui dis-je, c’est aussi appétissant que
         du lait : qui t’empêche de t’en régaler ? Mon homme se lève ; et, après
         avoir cherché une place commode sur le bord s’agenouille et se penche
         le corps en avant, très empressé de mettre ce liquide en contact avec
         ses lèvres.   Mais à peine en ont-elles effleuré l’extrémité, que je vois
         soudain sa gorge se rouvrir. L’horrible plaie s’y creuse de nouveau.
         L’éponge s’en échappe, et avec elle deux ou trois gouttes de sang.
         Socrate n’était plus qu’un cadavre qui allait choir, la tête la première,
         dans le fleuve, si je ne l’eusse retenu par un pied et ramené à grand



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