Page 7 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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vieille, mais encore fort engageante, à qui je contai en détail les motifs
de mon excursion prolongée, mes alarmes en revenant, et ma
catastrophe en plein jour : le tout d’un ton lamentable, et en
rassemblant mes souvenirs tant bien que mal. Celle-ci me fit l’accueil
le plus gracieux. J’eus gratis un bon souper ; puis, dans un accès de
tempérament, elle partagea son lit avec moi. Ouf ! une fois que j’eus
tâté de sa couche et de ses caresses, impossible de me dépêtrer de cette
maudite vieille ! Les pauvres hardes que ces honnêtes voleurs avaient
laissées sur mon dos sont devenues sa propriété. Tout y a passé,
jusqu’aux minces profits que j’ai pu recueillir en faisant le métier de
fripier, tant que j’en ai eu la force. Enfin tu as vu quelle mine je faisais
tout à l’heure. Voilà où m’ont réduit ma mauvaise étoile et cette
honnête créature.
En vérité, repris-je, tu mérites encore pis, s’il y a pis que ce qui
t’arrive. Quel odieux libertinage ! Quitter enfants et pénates, pour
courir après une vieille peau de prostituée ! Chut, chut, dit-il, portant
précipitamment l’index à sa bouche et promenant ses regards autour
de lui, comme pour voir s’il n’y avait pas quelque péril à parler. Il y a
quelque chose de plus qu’humain dans cette femme. Retiens ta langue
imprudente, ou tu vas t’attirer sur les bras une méchante affaire. Oui-
dà, m’écriai-je, c’est donc une puissance que cette reine de cabaret ?
C’est une magicienne, dit-il ; elle sait tout : elle peut, à son gré,
abaisser les cieux, déplacer le globe de la terre, pétrifier les fleuves,
liquéfier les montagnes, évoquer les mânes de bas en haut, les dieux
de haut en bas, éteindre les astres, illuminer le Tartare. Allons donc,
lui dis-je, baisse le rideau, plie-moi tout ce bagage de théâtre, et parle
un peu comme tout le monde. Veux-tu, me dit-il, un échantillon ou
deux de ce qu’elle sait faire ? En veux-tu davantage ? Te dire qu’elle
peut enflammer pour elle, non pas seulement les gens de ce pays, mais
les habitants des Indes, mais ceux des deux Éthiopies ; bagatelles ! ce
sont là jeux de son art. Tiens, écoute ce qu’elle a fait ici même, et
devant mille témoins.
Un de ses amants s’était avisé de faire violence à une autre femme.
D’un mot elle l’a changé en castor. Cet animal, qui ne supporte pas la
captivité, se délivre de la poursuite des chasseurs en se coupant les
génitoires : elle voulait qu’il en advînt autant à son infidèle, pour lui
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