Page 145 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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: Voit joyeuse moisson le payer de sa peine.
              Venait-on  interroger  le  sort  à  propos  de  mariage ?  la  réponse,
         disaient-ils, cadrait à merveille. Le joug désignait l’union projetée, et
         les moissons la progéniture qui devait en sortir. Le consultant voulait-
         il acquérir une propriété ? les bœufs la plaine, les moissons, tout cela
         parlait  de  soi-même.      Avait-on  un  voyage  à  faire,  dont  l’issue
         inquiétait ? les bœufs étaient là pour toute bête  à quatre pieds. On
         aurait le plus doux des attelages ; et les moissons présageaient profit.
         S’agissait-il de combat à livrer, de voleurs à poursuivre ? la victoire,
         d’après l’oracle, était infaillible. Le joug menaçait les bêtes ennemies ;
         on  allait  s’enrichir  d’un  immense  butin.      Le  tour  leur  réussit.  Ils
         exploitèrent assez longtemps avec profit cette captieuse prophétie.
            Toutefois, les questions se multipliant, on finit par se trouver à bout
         de commentaires. Il fallut alors quitter le pays : nous nous remîmes en
         route ; et quelle route ! Pire cent fois que toutes celles que nous avions
         parcourues. À chaque pas des rigoles, des crevasses, des fondrières.
         Tantôt plongeant dans un marais d’eau stagnante, tantôt glissant sur un
         bourbier fangeux, je commençais enfin, non sans mainte chute fatale
         à mes pauvres jambes, à gagner un terrain uni,   quand tout à coup nous
         sommes  assaillis  en  queue  par  un  gros  de  cavaliers  armés,  qui,
         maîtrisant à grand-peine l’élan de leurs montures, se précipitent sur
         Philèbe et les siens,   les saisissent à la gorge, les traitent d’infâmes et
         de  sacrilèges,  entremêlant  ces  épithètes  par  de  fréquents  coups  de
         poing.  On  leur  passe  à  tous  les  menottes,  en  leur  adressant  cette
         sommation :   Çà, qu’on nous rende cette coupe d’or qui tenta votre
         cupidité profane. Oui, sous couleur d’un rite sacré, dont la célébration
         voulait du mystère, vous l’avez volée jusque sous les coussins de la
         mère des dieux ; et, comme si pareil crime pouvait rester impuni, vous
         vous êtes esquivés de nos murs avant le jour.
            Là-dessus,  l’un  des  assaillants  me  mit  la  main  sur  la  croupe,  et
         fouillant sans façon jusque dans le giron de la déesse syrienne, en tira
         la coupe au vu de tous.   Les misérables, loin d’être confondus par
         l’évidence, osent d’un ris forcé tourner la chose en plaisanterie. Quelle
         indigne violence ! que l’innocence court de dangers !   Une accusation
         capitale à des ministres du culte des dieux ! Et cela, pour un mince
         gobelet, cadeau d’hospitalité, fait par la mère des dieux à sa sœur de



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